Lorsque, pour la première fois, la réalisatrice Muriel Cravatte présente son synopsis pour monter à bord de l’Ocean Viking, elle défend une idée qui lui est chère : rendre visible le parcours des femmes qui font la dangereuse traversée de la Méditerranée. Sorti en 2024, le film Mothership a été montré dans de nombreux festivals, où il a remporté plusieurs prix. Il est régulièrement projeté en présence de membres de l’association. La réalisatrice, qui espère que son film « participe à lutter contre l’obscurantisme », s’explique sur TV5 Monde.
Mothership. C’est ainsi que les marins-sauveteurs et sauveteuses aux commandes des canots de sauvetage appellent l’Ocean Viking. Un vaisseau-mère où Muriel Cravatte a passé deux mois pour filmer la réalité des sauvetages en Méditerranée. Des sauvetages auxquels elle a également assisté du haut des airs, dans l’avion de Pilotes volontaires.
Dans l’abri qui est réservé aux femmes et aux jeunes enfants sur l’Ocean Viking, elle filme des personnes qui reviennent de l’enfer et racontent leur errance. Des images rares, puisqu’aucun homme n’est autorisé dans « le shelter » des femmes. Un refuge où elles peuvent enfin être en sécurité, parfois après des années à subir les violences, la torture et le viol.
À bord de l’Ocean Viking, en général, les hommes racontent assez spontanément leur périple aux journalistes qui ont embarqué sur le navire. Les femmes, elles, ont plutôt tendance à se faire discrètes. Mais à force de patience et de bienveillance, la réalisatrice belgo-française a su gagner leur confiance et recueillir leur parole, rare elle aussi. Dans la clinique de la sage-femme, elle a entendu des récits difficiles et a vu les stigmates des violences marquées sur les corps.
Quant aux enfants, comme le dit Marina, la sage-femme filmée par Muriel Cravatte tout au long de la mission, « ils sont souvent silencieux. Certains ne parlent pas du tout ». Pour la réalisatrice, « les enfants sur la route de l’exil, et en Libye particulièrement, évitent de se faire remarquer, s’invisibilisent, ce qui peut passer par le fait de prendre l’habitude de ne pas parler. Cette absence de parole provient aussi d’un manque d’interaction avec l’entourage. Leur silence est aussi un symptôme post-traumatique. »
« Les femmes sur l’Ocean Viking représentent environ 15 % des personnes secourues »
Au-delà des images filmées au plus près — sur les canots de sauvetage, dans le vaisseau-mère et à bord de l’avion de Pilotes Volontaires — la réalisatrice fait également œuvre de pédagogie en revenant sur l’aide accordée par l’Europe aux garde-côtes libyens par l’Europe pour refouler les personnes qui tentent désespérément de fuir la Libye. « Ce qui est problématique, ce sont les mauvais traitements infligés aux personnes rescapées lors de la rencontre avec les garde-côtes libyens, sachant que le fait de les ramener en Libye est contraire au droit maritime et à la Convention de Genève. Cela alimente des réseaux de traite et d’esclavage, de trafic d’êtres humains, puisqu’une fois rendues en Libye, elles sont souvent revendues et incarcérées. Même les enfants. Quant aux femmes, elles sont particulièrement exposées. Ce n’est pas un point de vue militant, des missions de l’ONU sont venues sur place et ont dénoncé la situation en Libye, la qualifiant de crime contre l’humanité. »
VOIR MOTHERSHIP
Mothership sera projeté dans trois villes en mars, en présence de bénévoles de SOS MEDITERRANEE :
- 15 mars à Paris à la bibliothèque Vaclav Havel
- 25 mars à Frontignan
Vous pouvez aussi visionner en ligne la version courte de Mothership, « En Pleine Mer » jusqu’au 25 mars sur France 3 Corse (55 minutes).
Crédit photo : Muriel Cravatte
