« ILS SONT DE CHAIR ET DE SANG » – Alain Damasio, écrivain 
18 juillet 2024
Alain Damasio, écrivain, membre du comité de soutien de SOS MEDITERRANEE, nous offre un texte qui évoque l’humanité des personnes que nous secourons.  

J’ai toujours pensé que le mot « étranger » était un verbe. Pas un nom. Un verbe d’action qu’on utilise pour mettre à distance ceux qui sont pourtant comme nous, pour les éloigner de cette évidence qu’ils sont comme nous, qu’ils sont nous.  
 
Les femmes, hommes et enfants qui tentent de traverser la Méditerranée pour aller toucher une côte plus au nord ont une tête, un tronc, des bras et des jambes, ils sont de chair et de sang, enveloppés dans une peau, cadencés par un cœur qui bat, gorgés de désirs et beaux du courage de partir. Mais nous autres, rive nord, on les « étrange ». On en fait une masse sombre, faussement nombreuse, bizarre, on les dote de mobiles inavouables, on les recule.  
 
N’importe quel enfant devant une carte de la Méditerranée voit un lac avec des îles. Il voit aussi des pays bordant ce lac, réunis comme autour d’un feu bleu, épaule contre épaule : Mare Nostrum. Notre mer : la grecque, la marocaine, l’espagnole, la syrienne, l’algérienne, la turque, la palestinienne et la juive, la corse et la libyenne, la crétoise et la croate, l’italienne ou l’égyptienne. Et on devrait empêcher les gens d’aller d’une rive à l’autre ? Au nom de quoi ?  
 
SOS MEDITERRANEE s’est construite sur l’évidence intemporelle du droit de la mer et du devoir d’assistance. Quand un être humain se noie, on ne lui demande pas son passeport, on le sauve. Basta. Et ce rescapé, on l’amène en lieu sûr, c’est tout. Et c’est la moindre des choses.  
 
L’association a déjà sauvé plus de 40 000 vies. Vous mesurez ce que ça représente ? Si on vous disait : la totalité des habitants de Bayonne, de Chartres, de Lens ou de Sète va mourir — sauf qu’on peut encore les sauver, vous feriez quoi ?  
 
En vérité, SOS MEDITERRANEE a évité plus de 40 000 morts consenties par des gens cravatés qui pensent que conjuguer le verbe étranger à l’impératif et au futur éternel, fait partie des techniques de base pour atteindre et garder le pouvoir. Refuser de sauver, et pire, bloquer ceux qui sauvent, quand on sait pertinemment ce qui se passe, est un crime. Délibéré. Un crime qu’avec un seul bateau équipé, on sait pourtant empêcher. Par milliers.  
 
Quand certains de nos gouvernants européens, vautrés dans leur populisme, pensent que leur rôle n’est pas d’éveiller les citoyens et leurs enfants à l’empathie, même minimale, ce fondement même de l’humanité et de sa beauté, on est au-delà de la servilité et de la honte.  
 
On peut certes en pleurer. Ou mieux, se dire que c’est à nous, citoyens, de faire le travail et donc de donner : de l’argent, du temps, du courage pour que la mer reste ce lieu où la main se tend vers la main qui coule.  
 

Crédit photo  : Yannick Taranco / SOS MEDITERRANEE 

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