« Bien sûr, le fait d’être secouru n’empêche pas la souffrance car chacun porte à jamais les cicatrices de son parcours comme migrant. Mais au moins vous nous donnez une seconde chance, à nous, Africains. Une chance de vivre, voire de revivre ! »
La force, l’énergie et la générosité qui habitent la « reine du kuduro », tirent sans doute leur origine d’une histoire de vie difficile. Entretien avec la chanteuse portugaise Pongo, qui a bien voulu répondre à quelques questions lors du concert donné le 24 juin, à Marseille, au profit de SOS MEDITERRANEE.
Plus de 28 000 personnes sont mortes en tentant traverser la Méditerranée depuis 2014. Quelle est votre réaction devant l’inaction des États européens face à cette catastrophe humanitaire ?
Je suis triste et je suis en colère. Tous les pays devraient être solidaires les uns des autres. Et pas seulement pour secourir les personnes qui se noient. Chaque être humain a le droit de survivre. Mais aussi de vivre ses expériences, de suivre sa route. Votre origine, vos racines vous construisent. Mais quand vous quittez votre pays et que vous survivez au pire, vous devez cacher vos racines, et vous risquez de vous perdre en chemin. C’est ce qui s’est passé à mon arrivée au Portugal. Vous redevenez un petit bébé. Vous oubliez tout ce qui fait de vous un être humain unique et vous recommencez à zéro. C’est difficile. D’autant que vous faites cette mue par nécessité.
Alors oui, la mission de SOS MEDITERRANEE est plus que nécessaire, quand les États ne font rien. Vous êtes notre espoir de survivre et d’avoir une vie meilleure. Bien sûr, le fait d’être secouru n’empêche pas la souffrance car chacun porte à jamais les cicatrices de son parcours comme migrant. Mais au moins vous nous donnez une seconde chance, à nous, Africains. Une chance de vivre, voire de revivre ! Et c’est pour cela que je suis très très fière de participer à ce concert ! Même si ce n’est pas suffisant !
Pongo, Vous dites souvent que le Kuduro est une danse très expressive qui parle de liberté, qui exprime la souffrance des prisonniers angolais. Vous-même, vous avez fui l’Angola à l’âge de huit ans. En vous produisant lors de ce concert de soutien, vous chantez pour une cause : aider SOS MEDITERRANEE à secourir les personnes qui fuient la Libye par la Méditerranée. Ces naufragé.e.s vous rappellent-ils votre propre histoire ?
Pour moi, la valeur cardinale dans la vie, c’est la liberté. Et c’est à travers la musique qu’elle m’a été offerte, et particulièrement la danse Kuduro lorsque j’étais enfant, dans mon pays. Puis la guerre civile nous a chassés. À mon arrivée au Portugal, à huit ans, je vivais beaucoup de discrimination. Mais lorsque ma famille se réunissait et que nous dansions le Kuduro, je revivais. Je redevenais moi-même, j’étais libre.
Toute personne a le droit de vivre, d’être libre de mener sa vie là où elle le souhaite. Ces personnes perdues en mer ont aussi droit à la liberté et à la vie. On n’a pas idée du courage que déploient ces personnes pour affronter le voyage et traverser la mer ! Il faut une force mentale incroyable. Je pense sincèrement que quelqu’un qui n’a pas vécu ce type d’expérience extrême ne peut pas comprendre. C’est hors de l’humanité ! Nous devons en finir avec les horreurs de ce monde. Nous devons nous lever et le changer ! Je pense qu’il y a beaucoup d’ignorance de ce que vivent les Africains. Toutes ces souffrances, la faim, la guerre, les injustices, les préjugés… Quand j’étais petite, je me rappelle une autre élève de ma classe qui m’avait demandé si j’étais venue en Europe pour avoir des vêtements, vu que les gens vivent nus en Afrique. Il faut faire reculer l’ignorance qui fabrique la discrimination contre les migrants. Noirs ou blancs, nous sommes d’abord des êtres humains ! Lorsqu’on connaît mieux la souffrance de l’autre, on le regarde différemment. On ne sait jamais qui sera le prochain sur la liste. J’ai vécu la violence dans ma chair. Je crois qu’une victime n’a pas de couleur. Et c’est d’en avoir parlé qui m’a libérée.
Quel serait votre souhait, votre rêve pour ces jeunes, ces femmes, ces enfants qui risquent leur vie en tentant de traverser la mer pour échapper à la violence et à la misère ?
Pour mes frères et mes sœurs, je souhaite qu’on leur donne une chance de vivre à nouveau. De renaître de leurs cendres et de se défaire de leurs chaînes.
Je veux dire à toutes les personnes qui comme moi ont traversé la violence, les souffrances, la peur et la discrimination de ne jamais plus garder le silence. Gardez la voix forte ! Criez s’il le faut. Ne soyez pas timides à l’idée de raconter votre histoire : cela va changer votre vie et celle des autres ! Car tout le monde doit savoir ce que vous avez enduré si nous voulons que le monde change et soit meilleur. Ne permettez jamais qu’on vous fasse sentir coupable ou honteux d’être une victime. Soyez plutôt fier.e.s d’avoir survécu !
Crédits photo : Yannick Taranco / SOS MEDITERRANEE