Une expertise unique du sauvetage
25 janvier 2023

À bord de l’Ocean Viking, chaque mission mobilise plus d’une vingtaine de professionnel.le.s formé.e.s à cette expertise si particulière qu’est le « sauvetage de masse » en haute mer. Décryptage.

Octobre 2022. En moins de trois heures, l’Ocean Viking a effectué deux sauvetages dans les eaux internationales au large de la Libye. Nos équipes ont d’abord évacué 33 personnes dont quatre enfants d’un bateau en bois en mauvais état et surchargé, repéré depuis le pont. Une situation à très haut risque. Crédits photo : Camille Martin Juan / SOS MEDITERRANEE

Depuis 2016, les équipes de SOS MEDITERRANEE analysent les pratiques, capitalisent les expériences et améliorent constamment les procédures pour réduire les risques et être le plus efficace dans la recherche des embarcations en détresse, le sauvetage des personnes naufragées et les soins une fois à bord du navire. Dans un contexte où chaque geste et minute comptent, l’erreur peut être fatale.

C’est cette expertise, fruit de près de sept années d’expérience, qui a valu à SOS MEDITERRANEE de recevoir, fin 2022, le Prix de la Fédération internationale de sauvetage maritime (IMRF) pour la « Contribution exceptionnelle de son équipe aux opérations de recherche et de sauvetage en mer ». Cette récompense, décernée par une institution internationale renommée, reconnaît ainsi le savoir-faire des équipes développé lors des missions de sauvetage à bord de l’Aquarius, entre 2016 et 2018, puis de l’Ocean Viking, navire affrété depuis 2019 par SOS MEDITERRANEE.  

Le Prix de la Fédération internationale de sauvetage maritime (IMRF) vient reconnaître le professionnalisme des équipes en mer.  Crédits : Camille Juan Martin / SOS MEDITERRANEE

La bonne volonté ne suffit pas

Pour chaque mission, une vingtaine de personnes sont mobilisées pour prendre part aux opérations de sauvetage. Outre l’expérience acquise, il faut une détermination sans faille et une bonne forme physique pour rester disponible et efficace durant plusieurs semaines en mer, qui sont toujours d’une grande intensité. Le coordinateur ou la coordinatrice de la recherche et du sauvetage encadre une douzaine de marins-sauveteurs ou sauveteuses, auxquel.le.s s’ajoutent les huit personnels de soins et de soutien logistique qui interviennent essentiellement sur la phase post-sauvetage, pour l’accueil des rescapé.e.s à bord. Cette équipe est complétée par les neuf personnels navigants de l’armateur qui manœuvrent l’Ocean Viking.

Voir des portraits des membres de notre équipe en mer

La rigueur des exigences de base pour monter à bord pour les équipes de sauvetage – parler anglais couramment, détenir une expérience de marin ou de secouriste conséquente, détenir un certificat de formation de base à la sécurité (CFBS), faire preuve d’une une résistance physique et psychologique éprouvée – s’explique par la difficulté de la mission et des risques encourus. En mer, une hésitation ou une maladresse pourrait coûter la vie aux collègues ou à des personnes rescapées. L’exigence de professionnalisme est une question de vie ou de mort.

Des formations pour que chaque geste devienne automatique

En février 2016, sur l’Aquarius, lors de leurs premiers sauvetages en Méditerranée centrale, les marins les plus aguerris découvrent rapidement que rien ne pouvait les préparer à un pareil chaos. Car si chaque marin connaît les bases du sauvetage pour « un homme à la mer », aucune formation existante ne prévoit de secourir des centaines de personnes entassées sur des embarcations de fortune qui menacent à tout moment de rompre ou de chavirer.

Patrick Bar, premier photographe à bord de l’Aquarius en 2016, a saisi cette situation très dangereuse d’un naufrage à laquelle rien ne pouvait préparer nos équipes à l’époque.  Patrick Bar / SOS MEDITERRANEE

Ainsi, peu à peu, les équipes mettent en place des procédures adaptées pour faire face à toutes les situations rencontrées en mer, du bateau en bois à double cale avec 700 personnes à bord qui peut chavirer à tout moment, à l’approche d’un canot pneumatique cassé ou dégonflé, en passant par le sauvetage de nombreuses personnes à la mer ou le tri et l’extraction prioritaire des cas d’urgence médicale.

Ce travail de capitalisation des pratiques mène rapidement à la mise en place de formations de toutes nos équipes au sauvetage à grande échelle en Méditerranée centrale. Il s’agit de permettre aux marins-sauveteurs.teuses de conserver et de parfaire leur niveau de professionnalisme en vue du retour en mer. Les sessions de formation à terre insistent notamment sur l’importance de la gestion des mouvements de foule pour réduire les risques de panique et stabiliser la situation avant de procéder à la mise en sécurité des personnes rescapées à bord du navire. Basées sur un kit de formation réalisé par l’équipe de sauvetage de SOS MEDITERRANEE, elles se poursuivent à chaque escale de l’Ocean Viking ainsi que durant les périodes de transit vers la zone d’intervention, où les novices à bord comme les marins expérimenté.e.s s’exercent ensemble. Cette formation est en constante évolution et mise à jour à mesure que de nouvelles situations se présentent.

Toutes les situations doivent être anticipées pour pouvoir s’y adapter

Chaque sauvetage est unique et demande de prendre la bonne décision sans délai. Et la seule manière d’y arriver est d’être formé et entraîné constamment, de manière à ce que chaque geste devienne un automatisme lorsque le stress et la tension sont à leur comble.

Ainsi, chacune des personnes à bord – y compris les journalistes – est appelée à suivre les formations dès son arrivée sur le bateau car en cas d’urgence absolue avec plusieurs personnes à réanimer (Mass casualty plan), toutes les aides sont requises. Les premiers jours d’une rotation, notamment durant le trajet vers la zone de sauvetage, sont l’occasion de revoir la théorie et la pratique : que faire en cas d’alerte pour « homme à la mer » depuis l’Ocean Viking ? Comment fonctionne la radio ? Où sont les équipements incendie ? Qui fait quoi lorsque retentit la sirène avertissant qu’une embarcation en détresse a été localisée ? Dans quel ordre nos canots de sauvetage doivent-ils être lancés sur l’eau ? Quels dispositifs de flottaison (radeaux et bananes) doivent être déployés selon la situation ? Quels éléments doit-on communiquer lors de la première évaluation au moment de l’approche initiale ? Comment extraire des personnes inanimées des embarcations ? En quoi consiste la veille de nuit sur le pont ? Que faire en cas de « contact rapproché » (situation où une embarcation en détresse se trouve à moins de 0,5 milles nautiques du navire-mère) ?

Sur les trois canots de sauvetage, beau temps mauvais temps, de jour comme de nuit, on pratique différents scénarios critiques. Ainsi, le jour J, novices et vétérans sont à leur poste et connaissent parfaitement les gestes à poser pour sauver des vies en mer grâce à une expertise unique.