Depuis Marseille, Marylène se prépare à sa troisième mission sur l’Ocean Viking. La prise en charge des femmes enceintes figure parmi ses principales préoccupations à bord. Séquelles de violences sexuelles, tests de grossesse, brûlures chimiques cutanées et surtout écoute active des histoires traumatiques occupent son quotidien.
J’ai du mal à hiérarchiser les personnes que nous secourons en termes de vulnérabilité au vu de tout ce qu’elles ont traversé, mais les femmes enceintes sont particulièrement exposées et nécessitent une prise en charge spécifique à bord. Non seulement elles sont toutes effondrées de fatigue, notamment en période de fortes chaleurs, mais j’ai aussi remarqué que celles qui sont à leur premier trimestre de grossesse sont encore plus impactées par le mal de mer que les autres.
« Elles ne comprennent plus rien à leur corps. »
Environ la moitié des femmes que j’ai vues lors de mes deux missions m’ont demandé de passer un test de grossesse. En Libye, elles subissent de nombreuses violences, notamment sexuelles. La prise en charge, médicale et psychologique, qu’on peut leur apporter à bord constitue la majeure partie du travail de l’équipe médicale avec les femmes. Si certaines sont enceintes à la suite de ces abus, d’autres sont « protégées de la grossesse » par un implant, qu’elles se font poser en arrivant en Libye lorsqu’elles le peuvent. Et l’une des premières choses qu’elles demandent en montant sur le navire, c’est de l’enlever, comme si elles voulaient se débarrasser de toute l’horreur qu’elles ont vécu durant leur séjour en Libye en retirant cet implant. Pour elles, c’est une urgence, une manière de devenir une femme nouvelle. Lorsqu’on les y sensibilise, elles sont aussi très demandeuses de soins contre les Infections sexuellement transmissibles.
Je me rappelle d’une jeune fille de 16 ans. Elle m’a raconté qu’un jour, sa meilleure amie est venue la trouver pour lui dire de quitter immédiatement la maison car on allait la marier de force à un homme de 20 ans son aîné. Elle devait partir mais ne savait pas où aller. On lui a alors parlé de la Libye comme d’un lieu où on trouvait facilement du travail. Sur sa route, elle a traversé plusieurs frontières, a dû affronter de multiples violences. Puis il a fallu franchir le Sahara : c’est une traversée extrêmement dangereuse et meurtrière. Elle s’est retrouvée enfermée dans un camion qui traversait le désert avec des dizaines d’autres personnes, entassées comme des animaux. Chaque jour on évacuait les personnes mortes de chaud ou de soif du camion, on les laissait dans le désert. Son histoire me rappelait la seconde guerre mondiale. Puis elle est arrivée en Libye, où elle a été confrontée à la torture, aux violences sexuelles, à l’enfermement, aux meurtres… Là-bas, elle se faisait violer plusieurs fois par jour. Elle a fini par se rendre compte que la seule façon de s’en sortir était de prendre la mer pour l’Europe. Ainsi, à son arrivée à bord, sa première demande a donc été de passer un test de grossesse. Mais elle n’était pas enceinte. Les traumatismes subis par les femmes durant leur parcours migratoire perturbent leur cycle. Certaines n’ont plus de règles, d’autres saignent abondamment. Elles ne comprennent plus rien à leur corps. Mon travail consiste donc à leur expliquer ce qui se passe, à répondre à leurs questions, mais aussi à écouter leur histoire.
Des brûlures cutanées sévères
Une autre cause fréquente de consultation, chez les hommes mais particulièrement chez les femmes, sont les brûlures chimiques dues au fuel. De par leur nature corrosive, ces brûlures chimiques sont classées d’office comme « sévères ». Comme elles sont le plus souvent placées au centre des embarcations pneumatiques, avec les enfants, les femmes baignent durant des heures dans un mélange d’eau de mer et de carburant très corrosif pour la peau. Elles présentent des plaies ouvertes aux fesses, aux cuisses, autour de la vulve…
Il est donc primordial de les repérer le plus vite possible pour limiter l’expansion des brûlures. Je les repère facilement : elles n’arrivent plus à s’asseoir. Elles sont allongées sur le ventre ou sur le côté. Je vais donc les voir et je leur explique pourquoi elles souffrent ainsi et je les amène se doucher puis on les soigne en clinique. Les soins sont réalisés plusieurs fois par jour et sont très douloureux pour les femmes qui les reçoivent. Ils sont pourtant essentiels pour réparer petit à petit leur peau, leur corps. Parfois lorsqu’elles sont trop étendues ou importantes, elles nécessitent une évacuation médicale pour une prise en charge d’urgence à l’hôpital.
Au-delà de toutes les difficultés qu’elles traversent, il est important pour moi de souligner leur incroyable courage, leur force de vie et leur foi en l’humanité. Malgré tout, les femmes que j’ai eu l’honneur de rencontrer, par leur force et leur solidarité entre elles, m’ont appris la sororité et la générosité.