Arrivé dans le port de Marseille le jeudi 4 octobre après des opérations maritimes complexes, l’Aquarius est contraint de rester à quai tant qu’un nouveau pavillon ne lui sera pas accordé. Un processus qui va prendre plusieurs semaines, alors que son action en Méditerranée centrale est plus que jamais nécessaire.
L’Aquarius est amarré dans le port de Marseille, pour la troisième fois depuis le début de l’été. Déchu pour la deuxième fois de son pavillon, il ne peut naviguer et SOS MEDITERRANEE a appelé l’ensemble des Etats européens, au nom du devoir d’assistance, à permettre à l’Aquarius de retrouver un pavillon le plus rapidement possible afin de poursuivre sa mission de sauvetage. A terre, en attendant un geste politique fort des Etats interpellés, les responsables des opérations épluchent les règlements et listes de prérequis techniques et administratifs pour les différents pays d’immatriculation possibles afin de permettre à l’armateur de trouver le pavillon qui verra l’Aquarius reprendre la mer. Un processus long et méthodique. A bord, une équipe réduite de marins-sauveteurs assure la maintenance, le passage de témoin, la conservation des acquis. Partout ailleurs en France et en Europe, les bénévoles et volontaires de SOS MEDITERRANEE continuent de témoigner de la situation dramatique en Méditerranée centrale.
Si le nombre des arrivées en Italie par la route de la Méditerranée centrale a diminué en 2018, la situation en mer reste extrêmement dangereuse au large de la Libye. Le drame humain vécu par ces hommes, femmes et enfants n’ayant d’autre alternative que de tenter la traversée pour fuir la violence reste inacceptable. Au cours de la dernière rotation, l’Aquarius a été impliqué dans deux opérations révélatrices de la gravité de la situation au large de la Libye.
Retour sur les dernières opérations en mer
La rotation a débuté par le sauvetage d’un petit canot parti de Libye, à bord duquel se trouvaient une majorité de Pakistanais, certains présentant des signes de détresse psychologique dus à la traversée mais surtout à leur séjour en Libye. « Certains ont été les témoins directs des récents affrontements à Tripoli, notamment des meurtres de ‘personnes innocentes’ – et de destruction de bâtiments. La plupart d’entre eux ont également déclaré avoir été victimes de travail forcé et non rémunéré depuis leur arrivée en Libye, un pays où ils disent avoir été traités comme des ‘chiens en or’, c’est-à-dire extrêmement vulnérables à l’extorsion » a expliqué une volontaire qui a pu s’entretenir avec eux.
Deux jours plus tard, l’Aquarius portait secours à une autre embarcation, un peu plus grande, à bord de laquelle se trouvait une majorité de familles libyennes en fuite. Dans la précipitation du départ, ils avaient tout abandonné derrière eux, sauf leur chien, Bella, qui devint le premier animal de compagnie secouru par l’Aquarius. Les récits des rescapés de la première comme de la seconde embarcation n’ont fait que confirmer que la situation à terre devient invivable pour tous, migrants et Libyens, au point que tenter la traversée en mer devient la seule option.
Règlements et législations bafoués
Au cours de cette dernière rotation, le rôle des autorités maritimes libyennes, reconnues par l’Union européenne (UE), a lui aussi été révélateur de contradictions profondes dans la coordination du sauvetage en mer au large de la Libye. Conformément au droit maritime et aux conventions internationales, l’Aquarius a refusé de transférer des rescapés du premier canot aux autorités libyennes, aucun port libyen ne pouvant être actuellement considéré comme un « lieu sûr », ainsi que l’ont affirmé les plus hautes autorités internationales, y compris le ministre italien des Affaires étrangères. Les centres de coordination des sauvetages, contactés par le coordinateur des secours de l’Aquarius pour l’attribution d’un port sûr, ont cependant tour à tour décliné toute responsabilité quant au sort des personnes sauvées, laissant ainsi l’Aquarius naviguer dans des limbes juridiques.
Deux jours plus tard, alors qu’encore une fois il ne faisait qu’appliquer à la lettre les conventions et règlements internationaux en venant en aide sans délai à 57 personnes en détresse à bord d’un canot menaçant de chavirer, l’Aquarius s’est retrouvé cette fois impliqué dans une confrontation verbale très tendue avec une vedette des garde-côtes libyens. L’ensemble des naufragés, principalement des familles avec enfants, ont finalement pu être accompagnés à bord de l’Aquarius, mais ce n’est qu’au terme de plusieurs jours d’attente qu’une solution a pu être trouvée pour leur garantir un débarquement en lieu sûr.
Alors qu’enfin les 68 naufragés – les 57 nouveaux rescapés et les 11 déjà à bord – étaient transbordés vers un bateau maltais, l’Aquarius, privé de pavillon pour la deuxième fois, se retrouvait contraint de mettre le cap vers Marseille, empêché à son tour, tout comme les autres navires humanitaires, de poursuivre sa mission en Méditerranée centrale.
La mortalité grimpe en flèche en Méditerranée
Au même moment, l’envoyé spécial du Haut-Commissariat pour les Réfugiés de l’ONU pour la situation en Méditerranée centrale, Vincent Cochetel, attirait l’attention sur un chiffre éloquent : début septembre 2018, le nombre de personnes interceptées par les garde-côtes libyens et renvoyées vers l’enfer qu’elles tentaient de fuir depuis le début de l’année venait de dépasser le nombre de personnes secourues et accompagnées en lieu sûr en Europe.
Sur la même période, la mortalité le long de cette route maritime la plus périlleuse au monde n’a fait qu’augmenter. « Le nombre des noyades lors des tentatives de traversée la Méditerranée a fortement augmenté en 2018, avec plus de 1700 décès depuis le début de l’année », ont déclaré conjointement l’OIM et le HCR dans un récent communiqué. « Pour le seul mois de septembre, une personne a perdu la vie ou disparu pour huit personnes qui entreprennent la traversée vers l’Europe en Méditerranée centrale, principalement en raison d’une réduction des moyens de recherche et de sauvetage. »[1]Aujourd’hui, il ne faut pas voir que l’Aquarius amarré à Marseille et les ports italiens désertés, mais bien continuer plus que jamais à entendre et relayer le témoignage de ces naufrages et retours vers l’enfer qu’on ne voit pas, de ces appels de détresse que l’on n’entend pas faute de navires civils présents au large de la Libye.
Photos : Maud Veith