Directrice adjointe de SOS MEDITERRANEE France depuis sa création, Fabienne Lassalle raconte la mission de janvier 2025. Au fil de ses souvenirs, elle nous entraîne à la rencontre des femmes secourues lors d’un sauvetage complexe, « des femmes d’une grande dignité ».
Si Fabienne parle de « miracles », elle sait que seules une préparation millimétrée des équipes et une expertise de dix ans en recherche et sauvetage rendent ces « miracles » possibles. « Le premier “miracle” auquel j’ai assisté lors de ce sauvetage du 21 janvier, c’est le repérage de cette embarcation sans lumière, en pleine nuit, au milieu de la Méditerranée. Le second “miracle”, c’est que nos équipes de sauvetage aient pu ramener toutes ces personnes vivantes car l’embarcation pneumatique était surchargée et que l’eau pénétrait déjà à l’intérieur. Le troisième “miracle” se produit lorsque les personnes rescapées arrivent à bord : on assiste à une renaissance, comme si elles passaient du statut de condamnée à celui de survivante. »
Parmi les onze femmes ramenées sur l’Ocean Viking ce jour-là, trois sont enceintes, dont une à terme. Ainsi, après avoir orienté les personnes rescapées et leur avoir distribué une trousse de bienvenue, Fabienne participe à l’organisation de la vie à bord et sert d’interprète auprès des francophones, notamment dans la clinique de la sage-femme. Son expérience, notamment en Afrique de l’Ouest, est un atout pour nouer le contact. Quelques mots en Bambara, l’évocation d’une ville au Mali, permettent d’engager le dialogue et de créer la confiance.
« Je me souviens d’une jeune maman, qui avait déjà un enfant d’un an et demi, qui a demandé un test de grossesse car elle n’était pas sûre d’être enceinte… Le père était resté captif en Libye. À l’échographie, la grossesse a été confirmée. Il y a eu un moment suspendu quand la médecin lui a demandé si elle était contente d’être enceinte… La jeune femme a répondu par l’affirmative. »
Sachant qu’un récent rapport de l’ONU a établi que 90 % des femmes qui traversent la Méditerranée sont victimes de viol sur leur parcours migratoire, la question des grossesses demeure un sujet délicat à aborder pour les équipes médicales.
« Comment oublier cette féministe camerounaise qui a été vendue par les garde-côtes tunisiens aux geôliers d’un centre de détention clandestin en Libye ? »
Fabienne lassalle, directrice adjointe de SOS MEDITERRANEE
Tour à tour, Fabienne évoque cette adolescente qui prenait soin de tous les bébés pour soulager les mamans et balayait l’abri des femmes, « recréant le foyer qui leur manquait », ou encore de cette femme qui voyageait avec sa fille. L’enfant, âgée de six ans, était à la recherche d’attention et de contacts. Elle s’accrochait aux membres de l’équipe et demandait à être portée. « Il y avait aussi cette Camerounaise, une vraie battante, qui avait participé à une manifestation à Yaoundé en opposition à la femme du président qui organisait pour le 8 mars des événements où les femmes devaient se faire belles ». Elle militait pour les droits des femmes et refusait qu’on dénature cette journée. « Elle a raconté avoir fui son pays avec sa petite fille en raison des pressions exercées sur elle par le pouvoir. » Jetée sur les routes de l’exil et parvenue en Tunisie, elle a été vendue à des hommes qui l’ont enfermée dans un centre de détention en Libye. « En dépit de ces épreuves, elle dégageait une telle force, une telle dignité ! »
Parmi les souvenirs et les rencontres fortes de cette mission Fabienne retient tout particulièrement la dernière soirée à la veille du débarquement, où femmes, hommes et enfants chantent et dansent au son de la musique. « J’avais peine à croire que quatre jours plus tôt, tous ces gens, visiblement heureux, étaient sur le point d’être engloutis par les vagues ! »
« Après tant d’années de souffrances, j’ai changé d’adresse »
« Parmi eux, il y avait une femme très haute en couleur, le verbe haut, qui a lancé de nombreuses chansons, auxquelles les autres devaient répondre. ‘’Après tant d’années de souffrances, j’ai changé d’adresse’’, chantait-elle. Elle avait un charisme incroyable, elle a entraîné les femmes comme les hommes ! »
La femme qui était enceinte de neuf mois dansait elle aussi . « On avait sorti la sono, elle marquait le rythme, se déhanchait, l’ambiance était extraordinaire… J’échangeais des regards inquiets avec la sage-femme en voyant cette femme danser. On a beau avoir eu six naissances à bord, disposer du savoir-faire et de l’équipement nécessaire, on privilégie l’évacuation sanitaire si les contractions se déclenchent car on ne sait jamais ce qui peut se passer lors d’un accouchement. Le lendemain, la sage-femme l’a examinée à nouveau et tout allait bien. »
Au moment du débarquement, les questionnements et les inquiétudes sont multiples : quelle sera la suite pour ces hommes, ces femmes, ces enfants ? Leur passage à bord de l’Ocean Viking sera-t-il une courte parenthèse d’humanité avant de nouvelles épreuves ? On a envie de croire que d’autres miracles sont possibles.
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Crédit photo en haut de page : SOS MEDITERRANEE
Crédit vidéo : Max Cavallari/SOS MEDITERRANEE