L’un est capitaine de la marine marchande, le second marin-sauveteur sur l’Ocean Viking, le troisième champion de la course au large et le dernier, marin de plaisance et photographe embarqué avec SOS MEDITERRANEE. Ils ont en partage une évidence : porter assistance à toute personne en danger en mer est un devoir. Parce qu’il y a urgence.
Photo ci-dessus : Antony Jean / SOS MEDITERRANEE
De l’inconditionnalité du sauvetage en mer
Depuis 2016, nos équipe de marins sauveteurs et sauveteuses tendent la main aux femmes, aux hommes et aux enfants qui se noient aux portes de l’Europe, peu importe leur origine, la couleur de leur peau, leur histoire ou les raisons qui les ont poussés à s’exiler. « Toute personne en détresse en mer devrait être secourue dans les meilleurs délais : c’est un devoir moral et légal pour tous les capitaines et pour les États côtiers » rappelle le président de SOS MEDITERRANEE, le capitaine de la marine marchande François Thomas. Or c’est le principe même de l’inconditionnalité du sauvetage qui est bafoué dans notre mer Méditerranée. « Le mot fraternité affiché au fronton de nos mairies devrait être universel. Il y a encore un long chemin à faire » précise-t-il dans une interview accordée à Jeune Marine.
« Tous s’appellent Kevin. »
Giannis, marin-sauveteur, était à bord de l’Ocean Viking la nuit du 22 avril 2021, alors que le navire est arrivé sur les lieux d’un naufrage mortel qui a fait 130 morts. Comme tout l’équipage, il s’est indigné du sort injuste réservé à ces personnes « mortes de façon inimaginable, en se noyant, seules. Elles sont mortes lors d’une nuit où Poséidon semblait exploser toute sa rage, contre cette Humanité injuste et répugnante. (…) Je souhaiterais que cela change, mais nous continuons à être témoins de ce type d’incidents, malgré les droits humains, les lois maritimes et les institutions et conventions qui les ‘’protègent’’. Il faut donc se poser une question importante : « Et si cela avait été un bateau de croisière en détresse ? »
Photo : naufrage tragique du 22 avril 2021. Crédits: Flavio Gasperini /SOS MEDITERRANEE
François Gabart, le célèbre skipper et parrain de SOS MEDITERRANEE, n’a de cesse de rappeler le principe de solidarité des gens de mer. Ainsi, après un Vendée Globe marqué par le sauvetage de Kevin Escoffier par l’un des concurrents de la course au large, il soulignait l’importance de « secourir également tous les migrants qui meurent en mer ». Soixante-dix personnalités du monde maritime avaient alors signé une Tribune sur l’inconditionnalité du sauvetage en mer qui rappelait que « la solidarité ne se marchande pas. En Méditerranée, tous s’appellent Kevin. »
François Gabart soutient SOS MEDITERRANEE depuis plusieurs années. Crédit : Yannick Taranco / SOS MEDITERRANEE
« Il n’y a rien de politique dans le fait de sauver quelqu’un. »
Tugdual, pour sa part, a effectué plusieurs missions comme marin-sauveteur avec l’Aquarius, le premier navire de SOS MEDITERRANEE. Aujourd’hui, il participe à des séances de sensibilisation en Bretagne, comme bénévole à terre. « Parfois on me dit ‘’votre action est politique’’ Mais pour moi, il n’y a rien de politique dans le fait de sauver quelqu’un. S’il y a quelqu’un à la flotte, tu le sauves, c’est la base pour un marin. Même le pire des capitaines, il y va sans se poser la moindre question, car c’est dans l’ADN de tous les marins. Personne ne se rend compte qu’une embarcation peut couler en trois minutes. On a l’impression de c’est lointain, mais c’est bien réel… Il y a danger de mort imminente. Nous on sauve des gens qui se noient, c’est tout. Avec le public, tu te retrouves parfois pris à partie : ce n’est pas mon métier de discuter, je ne suis pas militant, moi je sors des gens de l’eau ! Alors j’essaie de rester focalisé sur le sauvetage. J’ai besoin qu’on comprenne qu’on sauve des vraies personnes, avec des vies, des rêves et que ces gens ont le droit de vivre, tout simplement. »
Tugdual, alors marin-sauveteur sur l’Aquarius, accompagne un enfant qu’il vient de secourir. Crédit : Hara Kaminara /SOS MEDITERRANEE
Afin de documenter cette urgence absolue, SOS MEDITERRANEE invite des journalistes indépendant.e.s, mais aussi des photographes-vidéastes, qui permettent de montrer des images de la réalité. Un visage terrifié, une embarcation en train de couler, des vagues de plusieurs mètres qui s’abattent sur la coque :c’est ainsi qu’Anthony Jean, photographe à bord, rend compte de la réalité en Méditerranée centrale.
Lui aussi est un « inconditionnel » de l’action des ONG de sauvetage, et il témoigne régulièrement par de magnifiques expositions de photos comme « Mal de mer »… et par une plume engagée : « Ce travail est l’une des choses les plus traumatisantes et l’une des plus belles que j’ai faites dans ma vie. Ça m’aide en tout cas à me lever, à me regarder dans la glace. Je pense que c’est ça qui touche les gens parce que c’est quand même tellement direct : on tend la main pour sortir quelqu’un de l’eau. SOS MEDITERRANEE c’est près de trente-cinq mille vies sauvées, trente-cinq mille histoires, trente-cinq mille parcours. »
Anthony Jean témoigne de son rôle de photographe lors de l’événement Visa pour l’imagen aux côtés de Fabienne Lassalle, directrice adjointe de SOS MEDITERRANEE France. Crédits: Corinne Grillet / SOS MEDITERRANEE
Pour aller plus loin
Regards sur la Méditerranée centrale #36 : Des centaines de personnes secourues après des naufrages tragiques, alors que la vague des retours forcés en Libye s’intensifie.
[PAROLE DE CITOYEN] Tugdual, marin-sauveteur, Saint-Malo : « Comme sauveteur, je me sens le devoir de partager ce que j’ai vécu. »