De la une à l’oubli : silence et suspicion autour des drames en Méditerranée 
16 septembre 2025
Le 24 août dernier, l’Ocean Viking, navire-ambulance de SOS MEDITERRANEE, a été la cible d’une attaque armée sans précédent des garde-côtes libyens alors qu’il venait de secourir 87 personnes en détresse. Un événement d’une gravité inédite, qui n’a pourtant suscité qu’une attention très limitée dans les médias francophones. Dix ans plus tôt, la photo du petit Alan Kurdi, un enfant syrien retrouvé mort noyé sur une plage turque, bouleversait la planète et faisait les titres des médias du monde entier. Entre ces deux événements, le récit des tragédies en Méditerranée et de ceux et celles qui tentent d’y faire face a beaucoup changé.  

Une couverture médiatique en recul 

Alors qu’en 2018 SOS MEDITERRANEE faisait l’objet de 16 765 mentions dans la presse française, elle n’en comptait plus que 5 997 en 2024. Une baisse d’attention qui n’est apparemment pas liée à la situation en mer puisque le nombre de personnes disparues en Méditerranée centrale était plus important en 2024 qu’en 2018, et le nombre de personnes secourues par SOS MEDITERRANEE globalement similaire sur les deux années. Cette tendance s’applique globalement au-delà de notre association : la couverture médiatique de la tragédie en Méditerranée ne cesse de diminuer dans les médias francophones.  

Si cette évolution n’est pas liée à l’actualité du terrain, nous pouvons en revanche penser que la saturation de l’information peut l’expliquer en partie. Dans un flux continu, les guerres, catastrophes et crises se succèdent et se « remplacent » à une vitesse effrénée. Chaque nouvel événement chasse le précédent, laissant dans l’ombre les drames qui, pourtant, perdurent. 

Bien que les ONG de recherche et de sauvetage en mer, dont SOS MEDITERRANEE, embarquent régulièrement des journalistes indépendant.e.s et documentent chaque opération, les témoins de ces drames restent malheureusement peu nombreux. Une situation aggravée par les politiques d’obstruction menées par les États européens, qui réduisent la présence des humanitaires sur le terrain, limitant leur capacité de sauvetage mais aussi de témoignage. 

De victimes à coupables, de héros à suspects 

Mais la cause qui nous semble être la plus évidente – et la plus préoccupante -, c’est la tendance croissante à la déshumanisation des personnes en situation de migration, qui conduit à une invisibilisation progressive des drames qui les touchent. Y compris dans certains médias nationaux de référence, les personnes secourues en Méditerranée sont de plus en plus souvent réduites à la catégorie abstraite de « migrants » et présentées comme une menace sécuritaire plutôt que comme des hommes, des femmes, des enfants en danger.  

Dans son mémoire publié début 2025 et titré La fabrique de la “crise” migratoire par la presse quotidienne française, Sarra El Abed relève par ailleurs que le terme « migrants », imprécis et sans réalité juridique, est utilisé presque systématiquement pour caractériser les personnes qui viennent d’Afrique vers l’Europe, mais rarement pour les personnes venant du continent européen, davantage qualifié.e.s de « réfugié.e.s ».  

Ainsi, subir une même situation (être contraint.e e quitter son pays pour un autre) ne conduit pas à être qualifié de la même façon selon son origine, et ces qualifications ne revêtent pas les mêmes représentations. Si le réfugié est perçu, à juste titre, comme victime d’une situation, le « migrant », lui, suscite parfois méfiance, voire hostilité, dans les médias. 

Ce glissement de victime à suspect, voire à coupable (de l’insécurité, de vouloir profiter de prestations sociales particulières au détriment d’autres personnes), peut désormais s’observer, dans une tout autre mesure, dans le traitement médiatique des ONG de sauvetage en mer. Celles-ci sont régulièrement accusées, de façon plus ou moins frontale, par un certain nombre de médias de ne pas respecter la souveraineté des États, de contribuer au prétendu « grand remplacement » ou encore d’être complices des passeurs. De fausses allégations qu’aucune preuve n’a jamais vérifiées.  

Une analyse menée en interne sur le traitement de l’action de SOS MEDITERRANEE entre 2016 et 2024 dans trois médias de presse écrite (Le Monde, Le Figaro, La Marseillaise) met en avant cette évolution. Outre la baisse globale des mentions dans les différents titres au fil des années, le ton évolue, en particulier dans les deux titres nationaux. Dans Le Monde, la mise en avant des récits de sauveteurs, d’experts ou de personnes rescapées, qui étaient fréquente en 2016, laisse la place au fil des années à un traitement axé sur les institutions, leurs manquements et à une analyse froide du cadre légal. Dans Le Figaro, l’évolution est encore plus marquée. En 2016, les mots les plus répétés dans les articles publiés étaient « mer », « naufrage » et « sauvetage ». En 2024, les trente articles qui mentionnent SOS MEDITERRANEE comportent une majorité de « immigration », « subvention publique » et « militantisme ».  

Le traitement de l’attaque du 24 août : des précautions abusives qui nourrissent la suspicion  

Cette évolution globale s’est encore illustrée avec la médiatisation particulièrement discrète de l’attaque subie le 24 août. Alors que des citoyennes et citoyens européens, engagé.es dans une mission de sauvetage dans le strict respect du droit international, ont été délibérément visé.es, le silence ou les précautions de langage ont dominé. 

Lorsque des médias de référence écrivent que « les garde-côtes auraient attaqué le navire » alors que des preuves vidéo, des photos et des témoignages directs existent, c’est toute la crédibilité du récit qui est remise en question. L’usage du conditionnel, ici, ne protège pas la rigueur journalistique : il fragilise au contraire le traitement de l’information. 

Il y a dix ans, les titres de presse saluaient les équipes de sauvetage comme des héros, « sauveurs d’humanité ». Aujourd’hui, même quand une association de sauvetage telle que SOS MEDITERRANEE est attaquée en dépit de tout respect du droit international et maritime, même quand ses équipes risquent leurs vies pour sauver celles des autres, même quand les faits sont documentés et incontestables, la véracité de son récit est mise en cause. 

Depuis 2015 et la mort photographiée du petit Alan Kurdi, au moins 32 600 personnes ont disparu en Méditerranée et 42 708 ont été secourues par SOS MEDITERRANEE. Mais aujourd’hui, ni les mort.es, ni les survivant.es, ni même les sauveteur.euses ne parviennent à échapper au mieux à l’indifférence et au pire à la suspicion.  

Crédits photo: Max Cavallari / SOS MEDITERRANEE

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