« Avec les vagues de chaleur intense en Europe et en mer Méditerranée cet été, on est confrontés à beaucoup de cas de déshydratation. »
Alors que la température atteint les 30 °C au port de Syracuse, Alexandre nous explique comment sont gérés les nombreux cas de déshydratation durant l’été. Un problème qui peut s’avérer mortel en mer, particulièrement lors de vagues de chaleur intense.
1. Quels sont les risques spécifiques à la saison estivale encourus par les personnes en détresse en mer ?
Toute l’année, vous avez des personnes qui essaient de traverser la Méditerranée. L’été, on assiste à une augmentation de ces tentatives du fait que la mer peut sembler plus clémente. Mais les changements de météo sont fréquents et parfois radicaux. Ils peuvent rendre les traversées plus difficiles qu’elles n’en ont l’air.
Sachant que les gens partent souvent avec très peu, voire pas du tout d’eau dans leur embarcation, ils se retrouvent parfois à boire de l’eau de mer. Cela va causer ce que l’on appelle une « hypernatrémie » [taux élevé de sodium dans le sang], aggravant ainsi leur déshydratation.
Les personnes secourues étant déjà particulièrement vulnérables, notamment du fait de violences et d’abus subis en Libye ou durant leur parcours migratoire, nos équipes médicales font parfois face à des personnes qui peuvent être extrêmement déshydratées. Les symptômes de la déshydratation sont : la fatigue, la perte de connaissance, des insuffisances rénales, jusqu’au choc hypovolémique [Syndrome consécutif à une insuffisance circulatoire grave] pouvant provoquer des hémorragies internes ou externes, et l’arrêt cardiaque.
« Au deuxième jour passé en mer sur des embarcations de fortune, on peut s’attendre à des décès, des arrêts cardiaques dus à la déshydratation. »
Cet été est particulièrement compliqué avec les vagues de chaleur auxquelles nous sommes confronté.e.s en Europe. En Méditerranée, les conséquences pour les gens qui traversent sont nécessairement plus importantes. Lors des exercices que l’équipe effectue durant une demi-journée, voire une journée en mer, avec cette chaleur, nous sommes déjà épuisés et les collègues commencent à présenter des signes de déshydratation alors que nous sommes correctement hydratés. On peut donc imaginer ce que ça signifie lorsqu’il s’agit de personnes qui fuient la Libye, sans eau, qui sont affaiblies par les violences qu’elles y ont vécues. Après 24 heures en mer, des signes de déshydratation commencent à apparaître, des gens peuvent perdre connaissance, avoir des coups de chaleur… Au deuxième jour passé en mer dans des embarcations de fortune, on peut s’attendre à avoir des décès, des arrêts cardiaques dus à la déshydratation.
2. Comment l’équipe de l’Ocean Viking gère-t-elle ces cas de déshydratation ?
D’abord en anticipant. En été, on essaie de protéger au maximum le pont arrière, où se trouvent les rescapé.e.s. On y installe des bâches pour faire de l’ombre. Nous prévoyons également des stocks plus conséquents d’eau et de solution de réhydratation orale.
Depuis plusieurs années, on expérimente des blocages particulièrement longs en mer – parfois plus d’une dizaine de jours d’attente avant qu’un port ne nous soit attribué pour débarquer les personnes rescapées. Cette période est particulièrement critique pour nous et pour les personnes que nous secourons. Les membres d’équipage se relaient 24 heures sur 24 pour prendre soin des personnes rescapées qui sont déjà extrêmement affaiblies, La chaleur est intense sur le pont d’un navire. On se prépare à cela mais malheureusement, plus le temps d’attente est long, plus le risque est élevé.
Sur le plan médical, [lorsque les personnes rescapées sont secourues], nous sommes particulièrement attentifs aux symptômes de déshydratation : on va avoir des gens qui sont épuisés et qui pourront paraître confus. Sur le plan clinique, la tension artérielle va chuter, on va avoir des yeux cernés, des muqueuses sèches, sans oublier tous les signes de choc hypovolémique : un pouls périphérique qui va disparaître, des marbrures au niveau des genoux, des signes d’hypoperfusion périphérique … Chez les bébés, la fontanelle pourra être creusée, ou ils seront inanimés.
Notre prise en charge médicale va dépendre de la sévérité de la déshydratation. Plusieurs lignes sont prévues. Pour celles et ceux qui sont conscients et présentent une déshydratation modérée, on va commencer par leur faire boire une Solution de Réhydratation Orale (SRO), qui permet de réhydrater et de reminéraliser le corps. Il s’agit d’une poudre qu’on dilue dans l’eau et qui contient principalement du sel et du sucre, ainsi que quelques autres minéraux. On peut également être amenés à l’utiliser pour les équipes à bord.
Si cela ne suffit pas, que la personne vomit ou si elle est inconsciente, on passe aux lignes suivantes, soit avec une sonde nasogastrique pour administrer rapidement la solution de réhydratation orale, ou en dernier recours, des poches de solution de réhydratation intraveineuse. Enfin, si on est face à un arrêt cardiaque, on passe à la prise en charge classique d’un arrêt cardiaque d’une cause hypovolémique.
3. Est-ce que vous avez eu des cas particulièrement difficiles ?
L’été dernier, nous avons été confrontés à une série de sauvetages assez compliqués, jusqu’à six en moins de 48 heures. L’un de ces sauvetages a été particulièrement marquant en matière de déshydratation pour nous.
[Nous avons porté secours à] un gros bateau en bois avec plus de 70 personnes qui avaient passé trois jours en mer, avec très peu d’eau…
[Lorsque nous sommes arrivés], les rescapé.e.s n’avaient plus d’eau du tout. On s’est retrouvés avec six personnes inconscientes à brancarder. Certaines d’entre elles ont dû être réhydratées par intraveineuse.
Malheureusement, avec ces vagues de chaleur intense, on peut s’attendre à davantage de situations de ce genre à l’avenir.
Vidéo en haut de page : Tara Lambourne / SOS MEDITERRANEE