À treize ans, il fuit la guerre dans son «Petit pays», le Burundi, alors que les massacres entre Hutus et Tutsis y font rage. Écrivain et auteur-compositeur-interprète, Gaël Faye se sent «très relié aux personnes qui sont secourues par l’Ocean Viking». Retour sur sa visite du navire de sauvetage de SOS MEDITERRANEE en juin 2022.
« Je t’inventerai des exils » dit-il dans le titre « Kerosen », dont la trame instrumentale rythme cette vidéo tournée quelques minutes après une visite chargée d’émotions de Gaël Faye à bord l’Ocean Viking, en compagnie d’autres membres du comité de soutien de SOS MEDITERRANEE. Son exil à lui, il l’a inventé à travers la musique, mais aussi dans l’écriture de « Petit Pays », un récit autofictionnel qui relate, à hauteur d’enfant, sa propre histoire.
Sensible à la cause des personnes qui se noient en Méditerranée pour fuir la guerre ou la pauvreté, il signe dès 2018 une tribune de personnalités qui demandent le retour en mer de l’Aquarius. Il offre également un titre pour la compilation Tous dans le même bateau vendue en soutien à SOS MEDITERRANEE. Rapidement, il invite des bénévoles de l’association de sauvetage en mer à ses concerts pour sensibiliser le public et appelle ses fans à faire des dons. En juillet 2021, en partenariat avec les festivals Les Suds à Arles, il donne un concert au Théâtre antique arlésien lors duquel 2 € par billet sont reversés à SOS MEDITERRANEE. Interview d’un artiste engagé.
Q – QUELLE EST VOTRE PREMIÈRE IMPRESSION APRÈS LA VISITE DE L’OCEAN VIKING ?
G.F.
J’ai été saisi dans un premier temps par une forte émotion en arrivant devant le navire, parce que c’est la première fois que je vois un lieu qui flotte sur l’eau, dont la seule mission est de sauver des vies. Ce n’est pas un bateau qui transporte des marchandises, ce n’est pas un bateau qui sert à faire des croisières, c’est autre chose. Forcément j’ai beaucoup entendu parler de l’Ocean Viking ; ça fait des années que je travaille avec SOS MEDITERRANEE.
« Mais de me retrouver là, devant ce navire, c’était vraiment chargé d’énormément d’émotions pour moi. »
J’ai eu la chance de pouvoir visiter tout le bateau et c’est vrai que c’est un lieu chargé d’énergie. On ressent qu’il s’est passé des choses, on ressent dans la coque, dans les lattes de bois, dans les pièces dans lesquelles on entre. On sent qu’à cet endroit-là, comme quand on visite un mémorial, comme quand on visite un musée, comme quand on visite un lieu chargé d’histoire, sur ce navire, on ressent toute cette charge d’énergie.
Q – EST-CE QU’IL Y A UN ENDROIT SUR CE NAVIRE QUI A PARTICULIÈREMENT ATTIRÉ VOTRE ATTENTION ?
G.F.
J’ai été fasciné par l’organisation à bord du bateau : tout est fait pour rendre la vie des rescapés digne. À partir du moment où l’on s’imagine la personne arriver à bord du navire, on sent que tout le circuit qui l’accompagne a été pensé à l’aune de tellement d’expériences, de tellement d’autres sauvetages, que l’on se rend compte de l’importance qui est accordée à l’être humain, non seulement durant le sauvetage mais aussi après, dans la prise en charge.
Il y a un endroit qui m’a particulièrement touché, je ne sais pas pourquoi, c’est la clinique, la salle où sont amenés les gens malades ou blessés. Ce sont trois pièces. Je crois que ça m’a touché parce qu’on a l’impression d’être dans un petit hôpital sur l’eau. On s’imagine la personne arriver là mal en point – parce que les personnes secourues par l’Ocean Viking arrivent souvent très mal en point – et il y a une atmosphère apaisante.
Il y a aussi un autre lieu qui est assez fort, c’est la « porte » qui amène sur le navire, ce tout petit passage qui permet de monter à bord du bateau. Et on se rend compte qu’à cet endroit-là, doivent se jouer tellement de lâcher prise, tellement d’émotions de la part de ces gens qui se sentaient voués à la mort et qui tout à coup arrivent dans un endroit sûr, et se disent qu’ils sont enfin sauvés et que la vie peut continuer.
Q – AVEZ-VOUS APPRIS QUELQUE CHOSE QUE VOUS IGNORIEZ SUR LES SAUVETAGES, OU QUI VOUS A INTERPELLÉ ?
G.F.
Il y a beaucoup de paroles qui m’ont touché, et de deux façons. D’abord, c’est la façon dont les membres des équipes parlent toujours des survivants, mais ne parlent jamais d’eux-mêmes. Ils ne disent jamais « c’est très fatigant pour nous, quand on arrive à terre on n’en peut plus ». Ils ne parlent que des personnes qu’ils sauvent.
« Cela m’a touché cette façon d’être complètement là pour l’autre, pour cette personne qu’on ne connaît pas, qu’on va sauver, être là, dédié totalement, à l’être humain. »
Mais l’autre versant, c’est la méchanceté de ce monde. Quand les équipes racontent les histoires des survivants qui arrivent à bord, l’enfer libyen dont ils s’enfuient. Mais aussi la façon qu’ont certaines autorités maritimes d’ignorer les rescapés, de laisser les embarcations couler sans leur venir en aide.
J’ai ressenti ces émotions contradictoires : beaucoup d’admiration, beaucoup de lumière, beaucoup d’humanité, mais aussi l’autre côté de la médaille – sans lequel on n’aurait plus besoin de mener pareille aventure, pareil projet – toute l’indifférence, l’intolérance et la méchanceté de notre monde. C’est ce qui joue sur ce navire-là. On sauve un petit peu notre conscience, on est dans SOS MEDITERRANEE en les accompagnant, parce qu’au final, en Méditerranée c’est surtout une immense indifférence face à la souffrance d’êtres humains qui domine.
Q – GAËL FAYE, VOUS AVEZ DÛ FUIR LE GÉNOCIDE DANS VOTRE PAYS ALORS QUE VOUS N’ÉTIEZ QU’UN ENFANT. LE SORT DES PERSONNES SECOURUES PAR SOS MEDITERRANEE RÉSONNE-T-IL DE MANIÈRE PARTICULIÈRE EN VOUS ?
« Et s’il n’y avait pas eu [ce passeport], j’aurais certainement eu le même destin que ces gens qui doivent traverser la mer. »
G.F.
J’ai eu une chance inimaginable, que je n’ai pas choisie. Je suis né au Burundi, et mon père est français, J’ai donc eu un passeport français. Et lorsqu’il a fallu fuir le Burundi, dans les années 90, lorsque j’étais adolescent, j’ai simplement eu à prendre un avion pour arriver en France. J’avais vécu deux ans dans la guerre, j’étais traumatisé par cette expérience-là, mais très vite j’ai pu fuir ce lieu. J’ai pu retrouver une nouvelle vie, m’adapter assez rapidement à une nouvelle société. Et il a suffi d’un rien, un simple passeport, un simple bout de papier, Et s’il n’y avait pas eu [ce passeport], j’aurais certainement eu le même destin que ces gens qui doivent fuir par la route, qui doivent fuir au péril de leur vie, traverser des pays, traverser des zones de conflit, traverser la mer.
Et moi j’aurai toujours un sentiment de fraternité et de solidarité envers tous ces gens qui essaient simplement de sauver leur vie. Et tant qu’on n’a pas vécu ça dans sa chair, c’est facile d’avoir des grands discours, de rester indifférent, mais quand on l’a vécu, quand on a affronté des périls, qu’on a simplement essayé de sauver sa vie, un projet comme SOS MEDITERRANEE c’est pour moi un halo de lumière dans cette indifférence vers laquelle on est toujours renvoyés, cette espèce de mépris. Je me sens très relié à des expériences de vie qui se jouent dans les sauvetages de l’Ocean Viking.
Q – GAËL FAYE, POURQUOI SOUTENEZ-VOUS SOS MEDITERRANEE ?
G.F.
Je soutiens cette association de sauvetage en mer simplement parce que j’estime que leur travail sauve notre conscience européenne. Ses équipes accomplissent ce que tous les États devraient faire : sauver des vies. J’admire énormément leur engagement et leur travail.
Et j’ai un message à faire passer aux gens qui hésitent à soutenir SOS MEDITERRANEE…
SOS MEDITERRANEE est simplement là pour sauver des vies en mer.
« Et quand je parle de conscience, de nos consciences d’êtres humains, de nos consciences d’Européens, ce qui se joue c’est simplement que si on accepte que des femmes, des enfants, des hommes périssent en mer sans rien faire, alors pour moi on est coupables de non-assistance à personne en danger. »
Et à partir de là, je ne vois pas comment on peut prôner toutes les valeurs qui font notre continent: des valeurs d’humanisme, des valeurs de solidarité. Je dis simplement aux personnes qui hésitent, qu’il n’est pas question de débat politique, il est simplement question de sauver des vies, d’aider des personnes qui se noient en Méditerranée. Tout simplement. C’est du sauvetage, pur et simple. Pour le reste ce sont d’autres combats, menés par d’autre associations. Là c’est un combat de l’urgence la plus absolue. Quelqu’un qui est dans une situation de vie ou de mort, on se doit de l’aider, tout simplement.
Crédits pour la vidéo
Réalisation : Hadrien Bels
Images en mer : Anthony Jean / SOS MEDITERRANEE
Trame musicale
Kerosen (version instrumentale)
Parole : Gaël Faye
Musique : Guillaume Poncelet
Avec l’aimable autorisation d’Excuse My French sous licence exclusive All Points
Photo couverture de l’article : Hadrien Bels