« Fin d’hiver. Une zone de recherche et de sauvetage désertée. Des conditions météo instables et transitoires. On s’attend à une patrouille stressante et à des opérations de sauvetage exigeantes. »
La suite des événements donnera raison à ce marin-sauveteur, dont la voix résonne alors que défilent les images de cette 11e mission de l’Ocean Viking, en mars 2021. D’autres membres de l’équipe et plusieurs personnes rescapées livrent ici leur récit dans un témoignage audio qui nous rappelle la dure réalité de celles et de ceux qui tentent de traverser la Méditerranée au péril de leur vie pour fuir la Libye.
Transcription complète de la vidéo
– Ocean Viking. Rotation 11. Fin d’hiver. Une zone de recherche et de sauvetage désertée. Des conditions météo instables et transitoires. On s’attend à une patrouille stressante et à des opérations de sauvetage exigeantes. Les entrainements s’enchaînent, entre les périodes de gros temps. Et le 18 mars, au matin, on a notre première alerte. Une petite embarcation, pompe de cale HS. On évacue dix personnes. Le surlendemain, le 20 mars, au milieu du temps qui fraîchit clairement, et se détériore rapidement, une autre embarcation. Cette fois c’est 106 personnes. Femmes, enfants, hommes, mineur.e.s non accompagné.e.s extrêmement affaibli.e.s . Malgré la difficulté du temps tou.te.s sont ramené.e.s à bord sain.e.s et saufs/sauves.
– Quand les personnes rescapées arrivent à bord de l’Ocean Viking et jusqu’à ce qu’elles soient autorisées à débarquer dans un lieu sûr, nos équipes médicales et de soins à bord prodiguent les premiers gestes d’urgence et répondent aux besoins vitaux.
– Je suis entré en Libye dans un lieu appelé Sabah. Un lieu meurtrier, une ville meurtrière. La mer elle-même, vous savez… J’y suis allé trois fois. Avant que je n’embarque en mer, ils nous ont attaqué.e.s. Ils ont tiré, tu comprends. J’ai été touché à la jambe, tu sais. J’ai passé un mois en prison, avec ma blessure.
– La vérité c’est qu’ils ne connaissent pas l’humanité. C’est ça, la vérité. Ils ne connaissent pas l’humanité. Ils ne traitent pas les gens correctement.
– Soit tu vas payer, soit tu vas faire toute ta vie là-bas. En prison, il y a des gens qui font du business avec des policiers. Ils vont appeler les parents pour faire sortir leur enfant en prison. Si tu n’as pas l’argent, tu resteras là-bas. Obligatoire : tu payes. Il n’y a pas de vie en Libye, c’est l’enfer. C’est vraiment l’enfer.
– Il y a aussi des milliers de personnes en prison. Des gens innocents. Des jeunes innocents, de jeunes garçons. Les femmes ont des petits bébés. Certaines accouchent en prison. Donc… c’est ignoble. C’est quelque chose d’épouvantable. C’est quelque chose d’épouvantable. Les enfants sont l’avenir. Ils ne se soucient pas des enfants là-bas. Vous comprenez ? Comment peut-on enfermer un enfant ? Ils sont dans le péché. Ils ont l’habitude de faire ce genre de choses, tu comprends ? Ces gens, je pense qu’ils sont dans le péché, tu sais.
– Je suis venue pour demander de l’aide, pour que ma fille soit vivante. L’enfant là est malade, si on l’excise elle va mourir. La cause de ma fuite c’est ça. On voulait l’exciser. Mais c’était pas du tout facile. La route on a trop, trop souffert. Des fois, c’est ma fille qui me donne du courage. Si je la mets sur mon dos, deux heures en marchant, si je voulais m’évanouir, elle m’appelait en Peul. Elle disait « Néné ! Néné ! » Ça veut dire « maman ». « Néné, réveille-toi, les hommes nous ont laissées. » Mon premier embarquement au port, j’étais au campo. On dormait sur la terre, il n’y avait rien. Elle est tombée malade. Il faisait froid là-bas. Je suis rentrée à la maison. Ils ont embarqué le convoi. Les militaires libyens ont attrapé le convoi sur l’eau. Ils ont amené nos ami.e.s en prison. Si on amène en prison là-bas, les femmes sans enfant, c’est 4000 dinars. Si on les met en prison, c’est 4000 dinars. Les hommes, c’est 3000 dinars. Si tu es avec enfant c’est 4500 dinars. Y’a pas à manger. Y’a rien là-bas. L’enfant est malade. Où mon mari va trouver l’argent pour nous sauver ?
– Pour la deuxième fois on a fait naufrage. Il y avait trois morts. Il y avait trois morts. On était surchargé.e.s. Et il y a des enfants, il y a des femmes enceintes. Il y a des bébés aussi, de deux ou trois ans. On était sur l’eau deux heures de temps, les garde-côtes libyens sont venus nous récupérer là-bas aussi. Et directement en prison.
– En Libye, ça fait dix ans qu’il n’y a pas de gouvernement stable. Pillages, vols, casses. Si tu mens, si tu voles, si tu agresses, tu vis très bien en Libye. Si tu vis honnêtement, tu ne peux rien faire en Libye. On trouve des armes partout parce que ça se vend et s’achète n’importe où. Tout le monde a des armes maintenant. (…) En marchant dans la rue normalement, je peux me faire tirer dessus. Amiass et Libya sont né.e.s durant la révolution. Même celle-là, elle n’avait que deux ou trois ans au moment de la révolution. Elle n’a connu que la guerre aussi. Tac Tac Tac Tac Tac. Tous les jours, tu entends le bruit des armes.
– Quand vous êtes venu.e.s nous sauver sur le petit bateau, j’ai commencé à pleurer. Elle m’a dit : « Néné, faut pas pleurer. Si tu pleures, je pleure. Tu sais si tu pleures… si je pleure, je vais tomber malade. » – « Il faut que je pleure, laisse-moi pleurer. » Elle dit qu’il ne faut pas que je pleure. Qu’elle est avec moi. J’ai dit « d’accord ». Elle est plus forte que moi.
– Mais la vérité, c’est que, même si je raconte indéfiniment ce qui arrive aux personnes noires en Libye, vous ne verrez aucun effort de la part du monde pour sauver ces gens. Vous ne verrez aucun effort. C’est la vérité. Parce que, je pense que je ne suis pas le seul à dire cela. Peut-être que vous interviewez, vous rencontrez des gens qui vous racontent les mêmes histoires. Qui vous disent à quel point la Libye est meurtrière, comment les personnes noires sont traitées en Libye. Mais il n’y a aucun effort. Encore maintenant.
Crédits :
Photos, montage, interviews : Anthony Jean / Laurence Bondard / SOS MEDITERRANEE
Musique : spaceless-ocean-curls-of-a-bright-horsewoman