Un « intermittent de la mer ». C’est ainsi que Guillaume, auteur de plusieurs carnets de sauvetage depuis sa première mission à bord de l’Ocean Viking en 2019, se définit. Aujourd’hui, il alterne opérations de sauvetage en mer et témoignage à terre, en Bretagne.
1- Pourquoi est-ce important de parler de ce que tu vis à bord ?
Raconter me permet d’avoir la satisfaction de savoir que je peux ouvrir les yeux de mes interlocuteurs. Je passe le témoin aux suivants.
Je me sens privilégié de pouvoir faire des sauvetages, d’aider, en faisant quelque chose de concret. Et ne pas témoigner, ne pas sensibiliser lorsque l’on assiste à ces catastrophes serait en quelques sorte de la non-assistance à personnes en danger.
J’habite près de Douarnenez et le sujet du sauvetage en mer intéresse forcément en Bretagne. Il m’est arrivé de répondre à des journalistes ou encore de témoigner lors d’un évènement. Je n’ai pas encore fait de sensibilisation scolaire… mais j’aimerais développer cette facette avec les bénévoles dans ma région.
Je suis marin de métier, mais à terre, je travaille comme technicien du spectacle et je développe aussi des projets musicaux. J’écris des paroles et je chante. J’ai en tête de témoigner dans d’autres cadres, plus artistiques : par la musique et peut-être par la danse également. C’est une façon différente de parler des naufrages en Méditerranée.
2- Comment le public accueille-t-il ton témoignage ?
Chaque fois que j’en parle, je me rends compte à quel point les gens ne sont pas au courant du drame en Méditerranée. Il faut témoigner pour qu’on sache ce qui se passe. Plus on partage nos expériences, plus les individus peuvent avoir une vision globale. Il faut raconter pour éveiller les consciences à cette réalité que certains ne veulent ou ne peuvent pas voir.
Quand on décrit un sauvetage, quand on parle de la proportion d’enfants, de personnes mineures isolées (c’est-à-dire sans parents pour les accompagner), des femmes enceintes, le public est souvent choqué. Quand j’explique les conditions de migration, je vois de la sidération dans les regards ! C’est peut-être par colère, mais j’ai besoin qu’on comprenne à quel point les États se dédouanent de leurs responsabilités. Car ce sont eux qui devraient organiser ces sauvetages, pas des ONG ! Aujourd’hui c’est la société civile, via les ONG, qui porte secours. Mais c’est du palliatif. S’il y a urgence en mer, il est plus que temps que les États européens cessent de fuir leurs responsabilités. Lorsque j’explique tout cela aux gens, ils sont choqués. Ils sont également surpris par les conditions de traversée, ou par des détails comme le nombre de personnes sur les embarcations, le fait qu’elles n’aient pas de chaussures, pas d’eau, ou qu’on les retrouve avec la peau qui se détache, brûlée par le mélange d’essence et d’eau de mer… Quand j’explique qu’une embarcation pneumatique de 3 mètres de large et 12 de longueur arrive à porter 120 personnes ou plus, les gens sont incrédules. C’est pourtant la réalité.
3- Des anecdotes qui t’ont particulièrement marqué ?
[Lors d’une intervention à Rennes], j’étais étonné de constater que les questions tournaient beaucoup autour de notre vécu à nous, les équipes de sauvetage, plutôt que de nous interroger sur les conditions de misère qui conduisent une partie de ces humain.e.s à fuir par des routes dangereuses sur des embarcations de fortune. Les équipements de protection individuels que nous portons lors des sauvetages donnent vite une impression de « super-héros » à la « Marvel ». Mais en soit les équipes de SOS MEDITERRANEE travaillent pour réaliser des actions de sauvetage de masse. Je fais ce qui doit être fait, je suis formé pour cela. Je n’aime pas lorsque qu’on me félicite de trop pour cet engagement.
En mer, mon souvenir le plus intense est certainement un naufrage qui a eu lieu en avril 2021. Car ce n’est pas tous les jours que l’on se retrouve face à une épave et des corps inertes flottant sur l’eau. La mer et le vent avaient levé des vagues trop hautes, le jour et la nuit que nous avons passés à chercher l’embarcation en détresse. L’issue était comme écrite d’avance et c’est une sensation d’impuissance qui a envahi les marins à bord. Ayant vécu la même scène de désolation, nous avons pu nous comprendre et nous soutenir les uns les autres et continuer la patrouille en mer. On fait partie du même bateau.
NDLR : Après ce drame, au cours de la même mission, l’équipe a pu porter secours à 236 personnes en détresse.