Originaires d’Érythrée, Samir* et Sonia* ont fui leur pays en 2019 pour pouvoir vivre leur amour, interdit par leurs familles en raison de leurs religions. De l’Érythrée au Soudan, puis à travers le Sahara et la Libye, les deux jeunes ont enduré violences, extorsions et discriminations, alors que Sonia était enceinte. Après des mois de détention et de précarité, le couple a pris la mer avec l’espoir d’un avenir meilleur pour leur enfant.
SAMIR
– Nous nous sommes rencontrés en 2019, j’étais enseignant. Quand je l’ai vue pour la première fois, je suis vraiment tombé amoureux, alors je lui ai demandé un baiser et elle a dit oui.
Mais je suis musulman et elle est chrétienne, donc ils ne voulaient pas qu’elle m’épouse. Je leur ai dit plusieurs fois, j’ai demandé à sa mère plusieurs fois, mais elle disait : « Non, je ne veux pas te voir, elle est chrétienne donc elle épousera quelqu’un d’autre ».
Et quelqu’un d’autre est venu des États-Unis pour l’épouser. Quand elle m’a dit que quelqu’un arrivait, j’ai été bouleversé. Alors je lui ai dit : « Quittons le pays » et elle a dit oui.
J’ai cherché quelqu’un pour nous aider à traverser le pays et il a dit que ça coûtait 1 000 dollars chacun. Juste d’Érythrée au Soudan. Je n’avais pas d’autre choix, alors j’ai dit oui et nous avons quitté le pays.
Il y avait un conflit à la frontière entre l’Érythrée et le Soudan mais nous avons quand même réussi à arriver au Soudan. Ensuite, j’ai cherché quelqu’un pour nous aider à aller en Libye car le Soudan n’était pas sûr pour nous.
Nous avons passé presque trois semaines à marcher à pied. Elle s’est évanouie trois ou quatre fois, elle était presque morte. Nous étions dans le Sahara.
Nous sommes arrivés à Koufra [au sud-est de la Libye] et là, ils nous ont beaucoup frappés en exigeant de l’argent. Mais c’était très cher. À Koufra, ils demandaient beaucoup d’argent.
SONIA
– 6 500 dollars chacun.
SAMIR
– J’ai dit : « Je ne les ai pas, c’est ma femme, elle est enceinte, qu’est-ce que je suis censé faire ? » Ils ont dit qu’ils s’en fichaient et que je devais payer.
Et puis ils m’ont frappé plus d’une centaine de fois, alors j’ai demandé à ma famille en Érythrée si elle pouvait nous aider.
Ensuite, ils m’ont encore frappé. Elle était enceinte et ils ne lui donnaient ni nourriture ni eau parce qu’ils voulaient que je paie vite.
Après deux mois, elle était presque morte…
SONIA
– Je ne pesais plus que 30 kilos à ce moment-là.
SAMIR
– Oui, elle était enceinte, presque morte, et moi aussi. Chez nous, ma mère et mon père ont demandé de l’argent autour d’eux pour nous sortir de là. Et, grâce à Dieu, nous avons réussi. Nous sommes arrivés à Tripoli. Tripoli… oh, c’était le pire.
SONIA
– Le pire, c’était quand j’étais en train d’accoucher. J’avais mal, alors nous avons appelé une ambulance. Ils ont demandé « Que s’est-il passé ? », mon mari a dit « Ma femme est en train d’accoucher, nous aimerions avoir une ambulance ». Ils ont demandé si ma poche des eaux s’était rompue et quand il a dit « Pas encore », ils nous ont dit « Rappelez quand ce sera fait, attendez chez vous ». Le lendemain, l’ambulance est venue et nous a emmenés à l’hôpital et l’hôpital a dit « Non, nous ne vous laisserons pas entrer (…) pas question, pas d’Érythréens ».
SAMIR
– Pas de chrétiens. Ils ont dit « Pas de chrétiens ».
SONIA
– Et j’étais déjà en train d’accoucher, je pleurais, je criais et ils disaient « Pas question ». Nous n’avions pas le choix, alors nous sommes rentrés chez nous. Nous avons appelé le HCR et ils nous ont dit de donner notre numéro de dossier et qu’ils parleraient à l’hôpital. Quand nous sommes retournés à l’hôpital, ils nous ont dit qu’il fallait payer. Alors mon mari a dû partir mendier encore de l’argent pendant que j’attendais sur le sol devant l’hôpital.
SAMIR
– Et il faisait très froid.
SONIA
– Oui, c’était en février, il faisait un froid glacial.
SAMIR
– Et puis mon petit frère est venu vivre avec nous. Mais il haïssait le pays. Il ne s’attendait pas à ça. Je lui ai dit de travailler un peu pour m’aider, au moins six heures par jour. Nous avons travaillé un peu mais il disait « Les Libyens sont trop durs, quand tu travailles ils te frappent, ils te crachent dessus… ». Alors il a arrêté de travailler et il est resté à la maison. Et le 21 août, il s’est suicidé.
Ensuite, le propriétaire de la maison nous a dit de partir immédiatement. J’ai demandé si je pouvais au moins prendre mes affaires et il m’a dit « Non, sors maintenant ou je te tue ». Nous sommes sortis comme ça, sans argent, sans vêtements, sans rien.
SONIA
– Nous n’avons même pas pu prier pour notre frère.
SAMIR
– Finalement, nous avons décidé d’aller vers la mer. J’ai demandé à notre famille, à nos amis, de payer.
SONIA
– Pour que nous puissions quitter la Libye.
SAMIR
– Cela nous a pris deux ou trois mois pour réunir l’argent. C’était 10 000 dollars, 5 000 pour elle et 5 000 pour moi. C’est beaucoup d’argent mais nous n’avions pas le choix. C’était la seule solution.
Nous avons passé 29 heures en mer, sans nourriture, sans eau. Ils disaient juste « Allez-y, vous trouverez l’équipe de secours ». Le capitaine n’avait pas de GPS, pas de carte. Quand il y avait des vagues, il savait comment s’en sortir, mais il ne savait pas utiliser la boussole.
Finalement, grâce à vous, grâce à votre équipe qui nous a trouvés, maintenant nous sommes ici.
SONIA
– Je pense que toutes les épreuves que nous avons traversées depuis l’Érythrée, lorsque que nos familles n’étaient pas d’accord, tout cela nous a rapprochés. Même si nous souffrions, même si nous n’avions rien à manger, au moins nous étions ensemble, au moins nous étions l’un avec l’autre, donc nous avons tenu bon ensemble. Peu importe toutes les épreuves qu’ils nous ont fait subir, nous avons continué à nous aimer de plus en plus.
Pour l’avenir nous espérons… Il était enseignant et moi, j’ai obtenu mon diplôme pour devenir enseignante aussi, donc nous espérons être de grands enseignants. Nous apprendrons à notre petit bébé l’amour que nous avons eu, nous voulons qu’il sache ce que nous avons traversé. Nous voulons lui donner un avenir meilleur, pas la vie que nous avons eue. Tout ce que nous avons fait, c’était pour lui, pour qu’il ait un avenir meilleur, une vie meilleure.
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Témoignage recueilli par Lucille Guenier
Crédit photo : Charles Thiefaine / SOS MEDITERRANEE
*Les noms ont été modifiés pour protéger l’identité des personnes rescapées



