Le 24 août 2025, l’Ocean Viking a essuyé des tirs nourris des garde-côtes libyens alors qu’il menait une opération de sauvetage en Méditerranée dans les eaux internationales. Pendant plus de vingt minutes, l’équipage et les 87 personnes rescapées ont cru leur dernière heure arrivée, avant de se réfugier, pour partie, en urgence dans la citadelle du navire, ou de se mettre à l’abri autant que possible. Lucille et John, membres des équipes communication de l’association, étaient à bord ce jour-là.
À toute vitesse dans notre direction
« Lorsque nous avons remarqué qu’un navire des garde-côtes libyens s’approchait de nous à toute vitesse, tout l’équipage est rentré à l’intérieur du bateau par sécurité. Nous avons également immédiatement mis à l’abri les 87 personnes rescapées qui se trouvaient à bord. J’ai entendu le coordinateur de l’équipe de sauvetage communiquer par radio avec les Libyens qui criaient “Partez, partez, partez !”. Nous leur répétions que nous nous dirigions vers un cas de détresse et que leurs autorités en étaient informées », raconte Lucille.
De son côté, John se souvient : « J’étais à l’autre bout du pont, en train de m’occuper des rescapé.e.s. Soudain, nous avons reçu à la radio l’information que les garde-côtes libyens arrivaient à grande vitesse dans notre direction et que le niveau de sécurité était relevé au niveau 1. Nous avons donc fermé les rideaux à l’arrière du pont pour que les garde-côtes ne voient pas les 87 rescapé.e.s. Après m’être assuré que personne n’était visible, je suis resté devant la porte de l’abri des hommes ».
Je ne suis pas habitué à entendre des coups de feu
« À ce moment-là, je me suis approchée de la fenêtre du côté tribord avec mes jumelles et j’ai vu deux hommes armés qui nous visaient. Je n’étais pas sûre de ce que je voyais, alors j’ai commencé à régler mes jumelles pour m’en assurer avant d’alerter l’équipage. C’est là que j’ai entendu une première balle frapper la porte à côté de moi. «Quelqu’un a crié “Ils tirent !”. Je me suis allongée sur le sol et j’ai laissé tomber mon appareil photo. J’avais très peur parce que j’étais juste devant les fenêtres, je me suis dit : Et si les balles les traversaient ? », se remémore Lucille.

John de son côté précise : « nous avons entendu un coup de feu au loin. Je ne suis pas habitué à entendre des coups de feu. Nous nous sommes regardés, puis avons de nouveau observé le bateau qui approchait. Un deuxième coup de feu a retenti, celui-ci a touché notre navire ; nous avons entendu l’impact sur le métal. Nous avons immédiatement demandé à tou.te.s les rescapé.e.s d’entrer dans l’abri des hommes et de se mettre à couvert. Le navire libyen a continué d’approcher et de tirer. Nous avons dit à tout le monde de s’allonger. Les rescapé.e.s semblaient moins paniqué.e.s que nous ; nous avons dû insister pour qu’ils et elles s’allongent. Le navire libyen est ensuite passé derrière nous, extrêmement près, en tirant encore. Nous avons entendu des impacts sur la coque tout près de nous. À travers la fenêtre, nous pouvions voir leur drapeau alors qu’ils nous encerclaient, tirant à la fois des coups isolés et des rafales sur le navire et sur les canots de sauvetage rapides ».
Lucille raconte qu’elle a tenté de se mettre à l’abri : « Ils ont recommencé à tirer. Quand ils ont arrêté, j’ai sauté dans le couloir pour me protéger des balles. J’ai essayé de me mettre sous la table, mais je n’ai pas pu. Ils ont recommencé à tirer à nouveau. Quelqu’un a crié “Couchez-vous par terre !”. Je me suis directement allongée complètement sur le sol. J’étais très inquiète pour les personnes secourues et mes collègues. J’ai commencé à leur crier que nous étions attaqués ».
Nous avons rampé au sol pour descendre les escaliers
John reprend : « L’alerte a été relevée au niveau 2. Nous étions censé.e.s être dans les cabines et laisser les rescapé.e.s dans l’abri des hommes, mais ce n’était pas possible. Andrea a relayé par radio que nous étions trois dans l’abri et que les Libyens étaient trop proches et visibles pour que nous puissions bouger. Peu après, nous avons reçu l’alerte de niveau 3 : tout le monde devait se réfugier dans la citadelle du navire. Andrea a signalé que nous ne pouvions pas obéir, que nous étions coincé.e.s dans l’abri des hommes. On nous a alors dit de rester couché.e.s jusqu’à nouvel ordre. Nous avons attendu, en gardant les rescapé.e.s calmes et allongé.e.s puis avons finalement reçu l’ordre de rejoindre immédiatement la citadelle. Nous nous sommes jeté.e.s au sol pour éviter d’être touché.e.s, puis avons rampé à l’intérieur un.e par un.e. Une fois à l’intérieur, nous avons réussi à rejoindre la citadelle avec le reste de l’équipe, en attendant que la passerelle confirme que nous étions en sécurité, une fois les Libyens partis. »
« Nous avons rampé sur le sol pour descendre les escaliers. Tout le monde était allongé ou assis. Quand les tirs ont enfin cessé, nous nous sommes réfugiés dans la citadelle, l’endroit sûr du navire. J’ai eu extrêmement peur que les garde-côtes montent à bord et nous tuent tous », conclut Lucille.
Crédits photos : Max Cavallari / SOS MEDITERRANEE

