Mariés en 2024, Samia* et son époux Nari* sont un couple yézidi. Âgés respectivement de 21 et 28 ans, ils sont originaires de Syrie. Les Yézidis sont une minorité religieuse persécutée dans de nombreux pays depuis le VIIe siècle, qui continue à faire face à des discriminations aujourd’hui. En 2014, l’État islamique a commis un génocide contre les Yézidis. 

Samia et Nari ont été secourus le 27 janvier 2025, en même temps que 92 autres personnes à bord de deux embarcations de fortune. Cette nuit-là, notre équipe a été confrontée à une situation critique : le cœur d’une fillette de sept ans s’est arrêté juste après le sauvetage. Après avoir pratiqué une réanimation cardiorespiratoire, nous avons procédé à son évacuation médicale d’urgence par hélicoptère vers Malte. Sa mère et sa sœur ont pu l’accompagner, mais le père a dû rester à bord de notre navire. Malheureusement, elle est décédée plus tard à l’hôpital. Elle était syrienne, comme Samia et Nari. 

Nari  

– Nous avons quitté la Syrie et nous nous sommes mariés au Liban en février 2024. Nous nous sommes rencontrés au Liban. Mon frère est fiancé à sa sœur. Nous sommes tombés amoureux et nous nous sommes mariés. Pendant cinq ans, au Liban, j’ai essayé d’obtenir de l’aide du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), sans succès. Il nous est impossible de retourner en Syrie et la vie au Liban est aussi très difficile pour nous. Nous étions trois frères vivant dans la même maison. C’est pour cela que nous avons décidé de partir. Notre famille était contre cette décision. Nous savions que c’était dangereux… une petite fille est morte pendant la traversée. 

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Nous avons payé 2 500 dollars pour prendre l’avion du Liban vers Benghazi [en Libye]. Ensuite, nous avons rencontré un Syrien, Abu Ahmed, qui nous a présenté un officier militaire libyen. Cet homme nous a volé 16 000 dollars. Nous lui avons donné l’argent, mais six mois après, rien ne s’était passé et nous étions toujours en Libye. C’était une arnaque. Alors, je suis allé chez lui pour réclamer notre argent, mais il a refusé. Des hommes nous ont alors kidnappés. Ils m’ont mis à l’arrière d’une voiture ; Samia, elle, était à l’avant. Nous avons roulé pendant neuf heures, puis ils nous ont emmenés dans une maison à Zawiya. Ils nous ont laissés là sans nourriture, sans rien. Ils ont demandé plus d’argent pour nous libérer. Je pense que notre contact a fait ça pour nous empêcher de porter plainte. Nous étions enfermés avec une autre famille. Après 15 jours, nous avons enfin été relâchés. 

En Libye, il n’y a aucun moyen de porter plainte officiellement, mais j’ai réussi à obtenir son identité. [Il nous montre la carte d’identité d’un officier militaire.] Quand je cherchais un passeur, quelqu’un m’a recommandé cet homme et m’a envoyé sa carte d’identité pour prouver qu’il était bien militaire. Je veux que cet homme soit jugé. Beaucoup de gens souffrent à cause de lui. Il vole et tue. Son seul rêve, c’est d’amasser un maximum d’argent et d’arriver en Europe. Il a arnaqué tellement de personnes. 

Ensuite, nous avons trouvé quelqu’un d’autre pour nous aider à traverser, un homme syrien. Nous lui avons payé 8 000 dollars chacun. C’est ma famille qui a payé. Nous avons tenté de traverser une première fois, mais nous avons été interceptés. Comme nous étions un couple syrien, nous n’avons pas été emprisonnés. Si vous êtes célibataire et non syrien, vous êtes mis en prison. 

Nous sommes Yézidis. La vie en Syrie et au Liban était très dure pour nous. Tout cela, nous le faisons pour notre famille, pour notre futur enfant. 

J’aimerais devenir tailleur. 

Samia

– Et moi, je voudrais travailler dans un salon de beauté. C’était notre travail au Liban. 

Quand nous arriverons en Europe, nous ne savons pas encore où nous irons. Nous continuerons notre route jusqu’à ce que notre rêve se réalise.  

Lire le récapitulatif de cette opération de sauvetage 

Témoignage recueilli par Lucille Guenier 

Crédit photo : Charles Thiefaine/SOS MEDITERRANEE 

*Les noms ont été modifiés pour protéger l’identité des personnes rescapées