Cette publication de SOS MEDITERRANEE a pour but de faire le point sur les évènements qui se sont déroulés en Méditerranée centrale au cours des deux dernières semaines. Il ne s’agit pas de livrer une revue exhaustive des faits, mais plutôt de fournir des informations sur l’actualité de la recherche et du sauvetage en mer dans la zone où nous opérons depuis 2016. Le tout, sur la base de rapports publiés par différentes ONG et organisations internationales ainsi que par la presse internationale.
Sur fond de violences envers les migrants détenus en Libye, le nombre de retours forcés atteint des records
Depuis le début de l’année, plus de 14 000 personnes ont été interceptées par les garde-côtes libyens et ramenées de force en Libye. Rien que le 13 juin, elles ont été plus de 1 000 à être ramenées vers les côtes libyennes, un nombre de retours forcés jamais atteint en une seule journée.
L’avion Seabird de l’ONG Sea Watch a été témoin d’une interception par les garde-côtes libyens à l’intérieur de la zone de recherche et de sauvetage maltaise le 12 juin. Deux jours plus tôt, l’OIM – Organisation internationale pour les migrations – et l’UNHCR – Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés – avaient annoncé que respectivement 200 et 450 personnes avaient été interceptées et ramenées vers la Libye. La semaine dernière, 260 autres personnes ont subi le même sort, et ont toutes été envoyées en détention, selon l’OIM.
Des témoignages de violences sur des jeunes filles dans des centres de détention libyens ont été publiés au même moment. De nombreuses jeunes filles et femmes ont déclaré à l’AFP (via France 24) et à Associated Press avoir subi des violences sexuelles de la part des garde-côtes, dans des centres de détentions officiels et non officiels libyens. L’une de ces femmes a raconté qu’elle était tombée aux mains des miliciens après avoir été interceptée en mer.
Le 22 juin, Médecins Sans Frontières (MSF) a annoncé la suspension temporaire de ses activités dans deux centres de détention à Tripoli suite à des “incidents répétés de violence envers les réfugiés et les migrants”. Ces incidents de violence comprennent des passages à tabac indiscriminés, des abus physiques et verbaux de la part des gardes et des tirs d’armes automatiques, ainsi que le refus d’accès du personnel médical aux personnes gravement malades. MSF a appelé à la fin de la pratique de détention arbitraire des réfugiés, demandeurs d’asile et migrants dans des conditions inhumaines en Libye.
L’absence de coordination légale pour la recherche et le sauvetage fait que les personnes secourues par des navires marchands n’atteignent pas toujours un port sûr.
Le 12 juin, le navire marchand Ugur Dadayli a secouru 97 personnes en détresse au sud-est de Lampedusa. Le sauvetage était coordonné par le Centre de coordination des secours en mer maltais. Les personnes secourues ont été transbordées sur des navires de l’armée et des garde-côtes maltais et débarqués à Malte le soir même.
Deux jours plus tard, plus de 180 personnes secourues par le navire marchand d’observation bénévole Triton dans les eaux internationales au sein de la zone de recherche et sauvetage libyenne ont été remises aux garde-côtes libyens et ramenées en Libye. L’avion Seabird de Sea Watch qui surveillait l’opération a vu plusieurs personnes sauter de l’embarcation en bois en détresse, essayant de rejoindre à la nage le navire marchand. En réaction à cet incident, l’OIM et l’UNHCR ont publié un communiqué de presse commun soulignant que « les acteurs maritimes ne devraient pas être obligés de ramener des personnes réfugiées et migrantes vers des lieux non sûrs » et appelant les Etats à « se coordonner afin que les navires marchands portant secours à des personnes en détresse obtiennent rapidement l’autorisation de les débarquer en lieu sûr ».
En plus de l’embarcation interceptée par le navire d’observation bénévole Triton le 14 juin, Seabird a repéré neuf embarcations en détresse. Selon Sea Watch, au moins l’une d’entre elles a été interceptée et les personnes secourues ramenées en Libye, pendant que deux autres embarcations étaient secourues par les garde-côtes italiens. Frontex a annoncé avoir repéré 19 embarcations transportant un total de 800 personnes au cours d’une opération de surveillance aérienne en Méditerranée centrale le week-end des 12 et 13 juin.
Plus de 1 000 personnes à bord de 16 embarcations ont atteint Lampedusa de façon autonome ou ont été secourues près de l’île au cours du même week-end, selon Mediterranea Cronaca. La semaine dernière, les médias italiens ont annoncé de nouvelles arrivées à Lampedusa et dans la région de Calabre.
La présence de navires d’ONG s’avère de nouveau indispensable, alors que le président du Parlement européen appelle à une mission européenne sur la recherche et le sauvetage
Les navires de sauvetage civils continuent à assurer une présence vitale en Méditerranée centrale. L’équipe du navire de sauvetage Geo Barents de Médecins Sans Frontières (MSF) a effectué sept sauvetages en moins de 48 heures, secourant un total de 410 hommes, femmes et enfants entre le 10 et le 12 juin. Cinq jours après la dernière opération, le navire s’est vu assigner un port sûr à Augusta, en Sicile, pour le débarquement des personnes secourues. Plusieurs des personnes secourues par MSF ont témoigné avoir été interceptées par les garde-côtes libyens lors de précédentes tentatives de fuir la Libye en traversant la Méditerranée centrale.
Le voilier Nadir de l’ONG allemande ResQship a porté secours à 86 personnes à bord d’une embarcation en détresse dans la zone de recherche et sauvetage maltaise. Alors que le Nadir restait à côté de l’embarcation, les garde-côtes libyens sont arrivés dans le but de ramener les personnes naufragées en Libye. Mais ces dernières ont finalement été transférées à bord d’un navire des garde-côtes italiens qui les a mises en sécurité en Italie.
Une cour civile de Raguse, en Sicile, a suspendu l’ordonnance de pénalité visant Claus-Peter Reisch, capitaine de l’Eleonore, le navire de Mission Lifeline. La confiscation de l’Eleonore a également été suspendue.
Le 14 juin, lors du discours d’ouverture d’une conférence interparlementaire de haut niveau sur la gestion de la migration et de l’asile en Europe, le président du Parlement européen David Sassoli a mis l’accent sur le devoir de sauver des vies en mer et le besoin d’une mission européenne de recherche et sauvetage : « Je pense qu’il est de notre devoir avant tout de sauver des vies. Il n’est plus acceptable de laisser cette responsabilité aux seules ONG ». La veille, le Pape François avait lancé un cri d’alarme, affirmant que la Méditerranée était devenue « le plus grand cimetière d’Europe »
Le 16 juin, Amnesty International, Human Rights Watch et ECRE ont publié un plan d’action contenant 20 recommandations à destination des institutions et des Etats membres de l’Union Européenne, afin de protéger les personnes empruntant la route de la Méditerranée centrale. Parmi les points listés dans ce plan d’action figure un appel à assurer le bon déroulement des opérations de sauvetage des ONG, y compris au moyen d’une coordination efficace par les autorités compétentes.