Un portrait

Une histoire

Zeineb*

Mali

Pays d'origine

19 ANS

Âge

15/11/2016

Date de sauvetage

Lorsque l’embarcation de fortune sur laquelle Zeineb* avait été forcée de monter a chaviré, elle n’a pu compter que sur son courage pour survivre.  Son récit, extrait de l’ouvrage Les Naufragés de l’enfer, recueilli en 2016 à bord de l’Aquarius par Marie Rajablat, infirmière psychiatrique, permet d’entendre la voix de ces femmes au parcours migratoire incroyable et trop souvent réduites au silence. 

Maintenant, je ne peux plus voir la mer

Zeineb* (…) faisait partie du bateau où 90 personnes ont péri en mer. C’est la seule femme qui ait survécu. Elle a 19 ans. Mariée de force, quelques années auparavant, Zeineb avait décidé de fuir les mauvais traitements que son mari lui faisait subir. Elle est partie avec Fatiah, son amie, qui allait rejoindre son mari arrivé en Italie l’été dernier.

Dès le départ, des gens ont dit qu’on ne pouvait pas partir avec ce canot, parce que le moteur faisait un drôle de bruit et qu’il y avait de l’eau au fond. On les a battus et jetés dedans. On ne pouvait pas faire marche arrière. On est partis dans la nuit, vers minuit ou une heure du matin. Il y avait beaucoup de vent. L’eau montait de plus en plus. Les gens dans le bateau avaient peur. Y’en avait qui criaient, d’autres qui appelaient Dieu. Des hommes disaient de ne pas bouger pour ne pas renverser le bateau. Ça a duré longtemps comme ça, peut-être deux ou trois heures, j’en sais rien.

Puis les vagues sont devenues plus fortes et le canot a chaviré. 

La plupart ne savait pas nager. Le canot était poussé par le vent. Les gens s’accrochaient les uns aux autres. Tout le monde criait. Le canot était de plus en plus loin. Je ne sais pas comment j’ai réussi à rattraper le bateau. Je ne sais pas nager. Des hommes l’ont retourné et sont remontés dedans mais ils empêchaient les autres de monter. Les deux femmes que tu m’as montrées sur les photos tout à l’heure, elles avaient réussi à remonter dedans, mais les hommes les ont repoussées dans l’eau. C’est pour ça qu’elles se sont noyées. Et quand j’ai réussi à m’accrocher aux cordes, ils me repoussaient aussi.

Alors le bateau de sauvetage est arrivé et ils ont lancé des gilets de sauvetage. Là aussi, les hommes ne voulaient pas qu’on les attrape. Alors je me suis accrochée au dos d’un garçon dans l’eau parce-que lui, il avait un gilet et on est venu me chercher ».

Zeineb m’a raconté son combat d’une traite, sur un ton monocorde. Elle n’a pas eu peur parce que pour survivre, il faut barrer le chemin aux émotions :

« Si t’as peur, tu meurs » ajoute-t-elle.

Son visage est fermé. Son corps dur comme du roc. Je ne sais pas comment elle a trouvé la force de me raconter tout cela. Comme tous ceux dont le voyage a été meurtrier, elle voit les visages des gens qui se noient autour d’elle, qu’elle ferme les yeux ou pas, elle les entend crier leurs dernières paroles…

« Maintenant, je ne peux plus voir la mer ».

Et effectivement, elle n’est pas sortie une seule fois du shelter [abri réservé aux femmes et aux enfants sur le navire], elle est restée recroquevillée sur elle-même tout le temps du voyage. Mais au-delà de la mer, si elle était sortie sur le pont, elle aurait pu croiser certains des hommes qui ont tenté de la noyer et en ont noyé d’autres…

* Le prénom et la photo ne correspondent pas à la personne qui témoigne afin de préserver son anonymat.

Crédit photo : Kenny Karpov / SOS MEDITERRANEE

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