19 juillet.
La quatorzaine de l’Ocean Viking doit prendre fin dans trois jours en Sicile.
Aujourd’hui encore il n’y a aucun bateau pour secourir les migrants, qui brûlent sous le soleil en mer Méditerranée, loin de nos regards.
Une farandole de drapeaux bleu blanc rouge, surmontés de pointes dorées.
Des hommes en uniforme, le menton haut, masques sur le nez, épinglés de décorations, armes au plastron.
Une tribune. Des officiels. Des écharpes de maire, de préfet, de député. Des gerbes de fleurs pour chacun. Des huiles. Il fait chaud. Ce matin à Marseille, la République se recueille sur son histoire.
Un discours.
« Dans le chemin tracé par Jacques Chirac et suivi par le Président de la République, la France regarde son histoire en face, avec clarté et vérité. C’est parce que la République connait son histoire, qu’elle sait d’où elle vient, qu’elle sera intraitable face au racisme, à l’antisémitisme et aux discriminations. Deux dangers nous guettent, et doivent sans cesse être combattus : l’oubli et la haine… cette journée nationale y contribue. »
« Présentez aaaaarmes ! Repos. »
Un grésillement stoppe le bruit des mouettes. Une chanson intemporelle de Jean Ferrat, démarre et flotte dans le temps.
Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants
Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent
Les cloches de Notre Dame de la Garde sonnent. Dimanche, jour de messe. Il est 10h.
La belle dame se découpe dans le ciel entre les pins parasol, visible depuis une montée folle et abrupte. Deux jeunes me doublent en trottinette électrique.
« Oh ! On va être bloqués ! »
Les escaliers les arrêtent. On ne trottine pas sur des marches. Ils replongent avec liberté tout schuss sur la ville, je monte les marches vers la grâce.
La foule est déjà présente au sommet. Compacte. Haletante. Comme des fourmis autour d’un pot de miel luisant au soleil. Un couple redescend sur la pierre chaude, je m’arrête devant un oratoire.
Notre Dame de la Garde, veillez
Sur nos marins-pompiers
Victimes de leur devoir et
Protégez-nous dans notre
Mission au service des
Marseillais
Une plaque signée du bataillon des Marins Pompiers de Marseille, gravée dans le marbre.
L’histoire. Les symboles. Et ces effets miroir. Et cette chanson qui continue.
Ils se croyaient des hommes, n’étaient plus que des nombres
Depuis longtemps leurs dés avaient été jetés
Dès que la main retombe, il ne reste qu’une ombre
Ils ne devaient jamais plus revoir un été
Je me mêle à la foule photographiant la cathédrale sous toutes ses coutures. Les shorts sont souvent très courts, les corps dénudés, on se frotte pour passer mais les masques à l’intérieur sont obligatoires. Sans distance. Sans ombre. Le confinement est une histoire passée.
Je me retrouve pris dans une visite guidée, me laissant porter. Nous surplombons une terrasse remplie d’Ex Votos, ces petites plaques de marbre personnalisées, gravées pour remercier l’église.
« Les plus anciens datant d’avant le XIXème siècle ont tous été détruits, vous en retrouverez parfois dans des villas cossues de Marseille, tout a été récupéré, c’est du marbre tout de même ! Vous pouvez vous en faire graver une, ça a un coût, mais là il n’y a plus de place pour l’afficher sur la terrasse ! Mais concrètement si vous y mettez le prix, l’église va vous en trouver une. C’est un commerce. Si vous les remerciez fortement, ils vous remercient… »
Au nom du père, du fils et du Saint Esprit.
« Et là c’est le Vélodrome, les gens aiment bien le voir et faire une photo souvent. »
Toutes les religions se croisent à Marseille, depuis toujours.
En redescendant du côté nord, je tombe sur un portrait de Pape Diouf, ancien président de l’OM décédé durant le confinement. Une tragédie pleurée par un peuple de fidèles. Une partie du poster est déchirée. Un jeune en survêtement de l’OM monte prendre une photo de l’idole « Whala, les gens l’ont arraché, c’est dommage heing… mais bon il est toujours là ! À jamais dans nos coeurs ! »
De nombreux migrants, morts depuis des mois en Méditerranée, n’ont eux eu droit à aucun honneur.
Ils s’appelaient Jean-Pierre, Natacha ou Samuel
Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vishnou
D’autres ne priaient pas, mais qu’importe le ciel
Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux
Devant la cathédrale, un homme sans âge joue Sketches of Spain de Miles Davis, au cor.
Ça prend aux tripes.
Seul face aux hordes de personnes défilant devant lui.
Quelques pièces dorées faméliques brillent dans son panier, sous le regard de la Madone qui contemple Marseille et son histoire.
Certaines personnes, quelque part, prient pour que le bateau reparte.
On me dit à présent que ces mots n’ont plus cours
Qu’il vaut mieux ne chanter que des chansons d’amour
Que le sang sèche vite en entrant dans l’histoire
Et qu’il ne sert à rien de prendre une guitare