5 heure du mat’. Pas de frissons.
Une envie de rester au lit.
J’ai rendez-vous avec Guillaine et Seb, bénévoles pour SOS MEDITERRRANEE, à 6h du matin sur le Vieux Port, pour un départ en voiture vers les merveilles de Marseille, le Graal : les Calanques.
La ville est encore plongée dans une nuit que je contemple depuis ma terrasse. La Bonne Mère resplendit encore dans la nuit. La foi ne dort jamais. Nous sommes le 14 juillet, il n’y a pas de feux d’artifices de prévus cette année. Pas de feux d’artifices ce soir, ni de fusées de détresse. Les deux sont inutiles. Aujourd’hui comme hier, aucun bateau de secours n’est de retour en mer.
Une autre lumière sort d’une fenêtre de l’hôtel Intercontinental de l’autre côté de la rue, face à moi. Mes yeux semi clos devinent un corps qui passe derrière les hauts rideaux d’un blanc iridescent. Une masse moire, musclée, que je devine nue, s’effondre sur le coin d’un lit en bataille. Repus. L’homme est allongé, sur le dos, corps noir sur les draps blancs de cet hôtel cinq étoiles. Intimité d’une chambre offrant une fenêtre sur la ville et ma curiosité. Je bois mon jus d’orange et déguste une part de tarte à la pistache achetée la veille. Les yeux toujours rivés sur la promesse d’un film inattendu. Action. La silhouette d’une femme passe devant les rideaux, sans les fermer, laissant transparaitre une peau laiteuse, diaphane, puis disparait derrière le mur. Ses jambes montent debout sur les draps, surplombant l’homme allongé au-dessous d’elle, par petits pas elle arrive au centre de ce corps inerte et s’assoit doucement sur lui, amusée.
Je me plais à les regarder, ma culpabilité se mélangeant sans doute un peu à l’envie. La lumière commence à poindre, l’obscurité qui me sert de couverture à disparaitre, il est temps de préparer les affaires de plage sans trop éveiller ma présence. À tâtons, dans la pénombre, je ramasse un maillot, une serviette, de la crème, mon carnet et mon Leica. La séance se terminera sans moi.
Les rues sont désertes, jonchées de déchets de la veille, les mouettes du Vieux Port attrapent plus de parts de pizzas que de sardines, et virevoltent au-dessus d’un petit bateau de pêche rentrant au port qui les laisse presque indifférentes. Les éboueurs s’affairent, un homme dort recroquevillé sur lui-même, les jets d’eau se déploient, la voiture de Guillaine est déjà là.
Je la vois assise, de l’autre côté de la rue, regardant amusée les derniers jeunes épongeant leur soif au snack d’en face.
« Ça faisait longtemps que je n’avais pas vu d’Afteristes ! C’est toujours pareil en fait, ça parle fort pour pas dire grand chose et ça crie famine. »
Oui il y a des choses qui ne changent pas, plus ou moins rassurantes, immuables en tous cas.
Seb arrive. Casque vissé sur la tête, ensemble sport, vélo électrique, bâtons de marche accrochés sur son sac à dos. Il est fin prêt pour la rando.
« Je vais accrocher mon vélo ici, en plein jour ça craint rien. »
Nous quittons Marseille avec le soleil qui se lève, découvrant les lettres géantes d’un Marseille à flanc de colline qui a des airs d’Hollywood. Ennio Morricone est mort il y a quelques jours, les cigales, elles, dorment encore.
La voiture longe les ports marchands à l’est de la ville, en direction de la Côte Bleue. Et ces bateaux de croisière de plusieurs étages qui attendent de relier l’Afrique du Nord ou la Corse.
Le décor prend peu à peu des allures de Grand Canyon méridional, les falaises de calcaire se découpant, imposantes dans le ciel déjà bleu.
Nous arrivons aux Calanques. Démarrant notre marche au-dessus de cette mer turquoise et bleue.
Certains passages sont un peu vertigineux, les bâtons de Seb ne sont pas superflus, béquilles d’appoint le protégeant souvent d’une chute fatale.
Pourtant le bonhomme a dansé, beaucoup, durant ses folles années. Le temps des soirées organisées dans la région, des festivals, énormes, des réseaux, infinis.
« Avant je montais des festivals électros, musiques actuelles. Un peu partout dans la région. On démarrait dans la journée, avec des activités pour toute la famille, les enfants, des ateliers. C’était toute ma vie. »
Puis un jour l’accident. Grave. Terrible. Trauma crânien. 3 ans d’hôpital. Le temps d’une reconstruction. D’une nouvelle adaptation au monde qui l’entoure. « Je devais réapprendre à danser avec le monde qui m’entoure » Réapprendre à réfléchir, à parler, à vivre.
« J’ai découvert les haïkus. Je me suis plongé dans cet univers, cette histoire ancestrale, ces codes complexes. J’avais le temps hein ! »
Le temps de faire les choses bien. Trouver sa place. Mettre à profit l’énergie disponible de l’instant.
La lecture, les Haïkus et SOS MEDITERRANEE.
« Aujourd’hui je donne toute mon énergie à SOS MEDITERRANEE, je les fais profiter de mon réseau, pour les évènements, les festivals, tout ce qui tourne autour. »
Seb est bénévole, et il écrit des haïkus. Sur son téléphone le plus souvent.
« J’aime bien le rapport de l’homme à la nature qu’on trouve dans les Haïkus. En ville j’ai un peu de mal à être productif, mais si je pars à la campagne, là je peux en faire un par jour dans les bons jours.. »
« Moi si j’écrivais des haïkus, j’appellerais ça Haïkubalibre…
-
Ah Ah ! Haïkucaracha !
-
Haïkulibaly !
… »
Beaucoup de personnes sont arrivées en quelques heures s’échouer sur cette petite plage. Des bateaux tournent à quelques mètres du bord entre les baigneurs.
Seb a remis sa casquette, ses lunettes, son sac à dos, rangé son téléphone à Haïkus, lacé ses chaussures. Nous retournons vers la ville, en évitant de glisser sur les pierres instables. Je me mets dans ses pas, m’assurant qu’il ne chute pas. Mais il se rattrape à chaque fois. Un pas après l’autre. Au bon endroit.