Précarité menstruelle en migration
7 mars 2024
Question taboue pour la plupart des femmes et des jeunes filles que nous secourons en mer, les menstruations constituent pourtant un facteur de vulnérabilité qui les « expose à des violences sexuelles et sexistes, ainsi qu’à des infections » nous indique Ayla, cheffe de l’équipe médicale à bord de l’Ocean Viking.

« Les femmes sont d’autant plus vulnérables lorsqu’elles ont leurs menstruations. Plus généralement, elles peuvent avoir des besoins hygiéniques qui les précarisent » commence Ayla, qui coordonne l’équipe médicale à bord, constituée d’une sage-femme, d’un.e médecin et d’un.e infirmièr.e pour  assurer les soins aux personnes rescapées sur le navire. Parmi elles, 14 % sont des femmes, sans compter les jeunes filles.


Risques d’infections multiples

Pour Marion Ravit, chercheure à l’Institut de recherche pour le développement (IRD)[1], « les inégalités dont sont victimes les femmes sont encore creusées par la précarité menstruelle », à plus forte raison dans les pays en voie de développement, notamment en raison de la charge financière pour se procurer des protections périodiques.

Lorsqu’on retrouve les femmes sur les routes migratoires, cette précarité s’accentue encore. « Parfois, les femmes ne trouvent pas de protections périodiques adéquates lorsqu’elles sont menstruées, ou ne disposent pas d’une quantité suffisante de ces protections, ce qui les expose à des infections » explique Ayla.  

Ainsi, durant leur parcours migratoire ou dans les centres de détention libyens, le simple fait de pouvoir s’isoler dans des toilettes lorsqu’une femme a ses règles ou veut se soulager peut s’avérer impossible, faute d’installations, voire dangereux si jamais des toilettes sont accessibles. La cheffe de l’équipe médicale évoque une exposition à « des risques de violences sexuelles et sexistes accrus, qui peuvent également inciter les femmes à ne pas aller aux toilettes lorsqu’elles en ont besoin. Et si elles se retiennent trop longtemps, elles sont susceptibles de contracter des infections urinaires ».

De plus, durant la traversée de la Méditerranée, qui peut durer plusieurs jours, femmes, hommes et enfants sont entassé.e.s à un tel point qu’il est généralement impossible de bouger, et encore moins de se lever. Dans ces conditions, les naufragé.e.s en sont réduit.e.s à se soulager et à vomir directement dans l’embarcation, où se mélangent eau de mer et carburant, une combinaison  hautement corrosive. En plus des infections, les femmes sont souvent les premières touchées par les brûlures cutanées en raison de leur position au centre de l’embarcation, puisqu’elles baignent dans ce mélange liquide durant toute la traversée.

« Nous tentons de créer une relation de confiance »

À bord de l’Ocean Viking, Ayla et son équipe vont tout faire pour que les femmes et les jeunes filles se sentent enfin en sécurité et retrouver leur dignité. Peu à peu, elle gagne leur confiance et les incite à se confier afin de leur offrir une prise en charge adaptée. « Si des infections, des grossesses non désirées ou d’autres problèmes les préoccupent, nous tentons de créer une relation de confiance entre elles et les équipes médicale et de protection. Nous essayons autant que possible de créer un environnement sécurisé pour que les femmes puissent nous confier tous leurs problèmes. Nous mettons à leur disposition des protections hygiéniques en libre-service et elles ont accès à un bloc sanitaire réservé aux femmes. Elles disposent d’un espace bien à elles, où aucun homme n’est autorisé à pénétrer. » Cet abri pour les femmes et les enfants de moins de douze ans est essentiellement géré par la sage-femme.

Ainsi, pendant les quelques jours qui séparent le sauvetage du débarquement des personnes rescapées dans un port sûr, l’équipe médicale gère les différentes demandes de soins, du mal de mer au test de grossesse en passant par le traitement des MST et autres infections, les brûlures cutanées ainsi que les blessures infligées en Libye ou pendant la traversée. « Nous répondons à tous leurs besoins médicaux immédiats et nous organisons autant que faire se peut la référence appropriée et l’orientation vers un service médical pertinent au moment du débarquement à terre, qu’il s’agisse de santé mentale, physique ou de tout autre problème. »

Crédits photo : Tess Barthes / SOS MEDITERRANEE

[1] RAVIT, Marion, « La précarité menstruelle en Afrique subsaharienne : une question taboue », The Conversation, Institut de recherche pour le développement, Décembre 2021.


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