« Avec SOS MEDITERRANEE, nous partageons les mêmes valeurs d’humanité et de solidarité… »
Michel Tudesq est un homme indigné. « Au sens que donne Stéphane Hessel à ce mot », ajoute-t-il. Indigné comme citoyen, comme marin surtout. Indigné que des États foulent aux pieds les conventions internationales qui ont fait de la valeur première des gens de mer, un principe de droit : la solidarité à l’égard des naufragés. Indigné par cette « conjuration des cynismes » qui a fini par avoir raison de l’Aquarius, le navire citoyen de SOS MEDITERRANEE dont il a été l’un des premiers mécènes. Indigné mais pas résigné car il sait qu’un autre Aquarius succèdera bientôt au premier.
L’Aquarius est en photo sur son bureau, à côté de celle, jaunie, du « Gouverneur-général Lépine », le vieux paquebot qui, un temps, abrita l’école navale de Sète devenue aujourd’hui le lycée de la mer Paul Bousquet.
Michel Tudesq dirige cet établissement, le plus important des douze « bahuts maritimes » français, avec près de trois cents élèves inscrits. Sur cette pointe qui s’avance dans l’étang de Thau, on forme les personnels de pont et de machines pour la pêche, le commerce et la grande plaisance.
On les forme aussi à la sécurité et au secours en mer. C’est la fierté de son directeur que d’avoir équipé ce lycée de tous les moyens nécessaires à cet apprentissage en se basant sur les prescriptions de l’Organisation maritime internationale.
« Former, c’est refuser la fatalité »
« Lorsqu’on forme des marins, c’est d’abord pour qu’ils ne périssent pas au large, insiste-t-il. Comment couvrir le risque des expéditions ? Cette question est à la base de tous nos apprentissages. Former, c’est refuser la fatalité. On ne peut pas se consacrer à cette tâche et accepter que, dans le même temps, des femmes, des hommes, des enfants, disparaissent en Méditerranée alors qu’il n’y a pas de fatalité à cela ».
Sa route et celle de SOS MEDITERRANEE ne pouvaient donc que se croiser. Ce fut chose faite en 2016, lorsque l’Institut Français de la Mer lui remit le prix Jean-Morin et qu’il offrit à la toute jeune ONG, la bourse qui l’accompagnait. « C’était une évidence pour moi, dit-il. Ma mission au sein du lycée convergeait vers celle de SOS MEDITERRANEE. Nous partageons les mêmes valeurs d’humanité et de solidarité… ».
« … De fraternité plutôt », corrige-t-il. La fraternité, Michel Tudesq la place plus haut que la solidarité.
« La fraternité n’implique aucun retour, aucun échange. C’est un don, ce qui n’est pas le cas de la solidarité, explique-t-il. Lorsqu’un armateur envoie l’un de ses bateaux au bout du monde, il sait qu’il y aura toujours quelque part un autre bateau, d’autres marins, un autre capitaine pour venir en aide en cas de problème. Il sait cela parce que lui-même viendrait en aide en pareil cas. C’est la solidarité des gens de mer. Une sorte de contrat moral sur lequel repose la navigation et qui est devenu principe de droit avec les conventions internationales ».
« Les marins sont respectueux de cette règle de solidarité, alors que les Etats dont certains ont la fraternité dans leur devise, n’assurent plus les conditions de son respect ».
Homme de mer, le directeur du lycée de la mer de Sète rend hommage au patron du navire de pêche espagnol, le « Nostra madre de Loreto » qui, en novembre dernier, refusa de débarquer douze naufragés en Libye et les garda à bord dix jours durant dans des conditions de grande précarité ; il rend hommage également aux garde-côtes italiens, rebelles aux injonctions de leur gouvernement qui cadenasse les ports au mépris des vies sauvées et de celles qui ne le seront pas.
« En mer, le droit au sauvetage doit être le même pour tous, quels que soient la couleur de la peau et le port d’embarquement. Or ce n’est plus le cas aujourd’hui en Méditerranée centrale » s’indigne Michel Tudesq.
Photo : Michel Tudesq au lycée de la mer de Sète
Crédits photo : Jean-Pierre Lacan / SOS MEDITERRANEE