« Peu après [le début du sauvetage], les Libyens sont arrivés ! Ils étaient là pour nous capturer. Mon cousin était déjà sur votre bateau, mais moi j’étais encore sur le pneumatique. Je ne savais pas ce qui allait se passer. J’ai paniqué. »
Jean* a 26 ans, il est originaire du Sénégal. Il figure parmi l’une des 295 personnes secourues par l’équipe de l’Ocean Viking entre le 24 et le 27 avril 2022. Avec son jeune cousin, ils ont traversé de nombreuses épreuves pour rejoindre l’Europe. Jusqu’à son sauvetage par les équipes de l’Ocean Viking, Jean n’a jamais cessé de craindre pour sa vie.
Jean voyageait avec son cousin de 19 ans. Ils ont tous deux été secourus d’une embarcation pneumatique en détresse avec 94 personnes à son bord. Pendant le sauvetage, les garde-côtes libyens se sont approchés au plus près de la scène. Après le sauvetage, Jean faisait partie des personnes rescapées qui nous ont raconté la tragédie qu’elles venaient de vivre. Durant la nuit, quelques heures avant le sauvetage, 12 personnes ont disparu après être tombées à l’eau.
Jean travaillait dans une mine détenue par une compagnie française au Sénégal. « J’étais à peine payé et je suis tombé gravement malade à plusieurs reprises en raison de l’absence d’équipement de protection. Je ne pouvais pas subvenir aux besoins de ma famille. J’ai décidé de partir avec mon cousin ».
Jean et son cousin, encore adolescent, se sont d’abord rendus au Mali, en passant par Bamako et Gao, avant de rejoindre l’Algérie. Ils ont traversé le désert pour rejoindre la Libye de nuit, dans une voiture bondée. Une fois arrivés en Libye, tout le monde a été volé par des milices, nous explique Jean. « On m’a confisqué mon téléphone, mon argent, et même mes vêtements. Puis on nous a jeté.e.s en prison. Nous avons été battu.e.s tous les jours. Nous n’avions presque rien à manger. J’avais juste assez d’argent pour payer notre libération et le bateau pour fuir la Libye. J’avais économisé de l’argent pendant des années pour pouvoir trouver un avenir ailleurs et en quelques semaines, il ne me restait presque plus rien ».
Jean n’avait aucune idée du type d’embarcation sur laquelle lui et son cousin allaient embarquer, explique-t-il. « On m’a dit qu’il s’agirait d’un grand bateau solide. Quand je suis arrivé sur la plage, je me suis rendu compte que le “bateau” n’était qu’un morceau de caoutchouc. Il y avait trop de mondesur cette embarcation, beaucoup trop de monde. Nous n’avions pas de nourriture, pas d’eau à boire, seulement de l’eau de mer ».
Jean a alors fixé le sol, le son de sa voix diminuant nettement, il s’est mis à parler de la tragédie survenue quelques heures seulement après avoir quitté la plage. « Nous sommes parti.e.s dans la nuit, vers 3 heures du matin. Quelques heures plus tard, toujours dans l’obscurité, des gens sont tombés à l’eau. Il y avait des vagues. Il faisait nuit noire. Les gens étaient épuisés, certains se sont évanouis. Des gens sont tombés à l’eau. Nous n’avons pu ramener que trois personnes à bord avec nous. Nous n’avons rien pu faire pour les autres. Lorsque nous avons quitté la plage, nous étions 106 personnes. Quand je vous ai demandé combien de personnes vous aviez secourues de ce bout de caoutchouc, vous m’avez répondu 94 personnes ».
Après avoir vécu ces horreurs, Jean, son cousin et 92 autres personnes sont resté.e.s au milieu de la mer sur ce « morceau de caoutchouc », impuissant.e.s face aux éléments.
« Quand je vous ai vus, j’ai d’abord craint que vous ne soyez les [garde-côtes] libyens, mais j’ai vite compris que vous étiez là pour nous secourir. J’étais tellement soulagé. Mais peu après, les Libyens sont arrivés ! Ils étaient là pour nous attraper. Mon cousin était déjà sur votre bateau, mais moi j’étais encore sur l’embarcation pneumatique. Je ne savais pas ce qui allait se passer. J’ai paniqué. La Libye est un pays dangereux. Quand on prend la mer, soit on est ramené à la violence, soit on meurt. Heureusement, vous nous avez secourus, mon cousin et moi. Nous faisons partie des personnes qui ont eu de la chance ».
*Le nom a été modifié pour protéger l’identité du rescapé.
Témoignage recueilli par Claire Juchat, chargée de communication à bord de l’Ocean Viking en mai 2022
Crédit photo : Claire Juchat / SOSMEDITERRANEE