L’Aquarius est de retour dans la zone de sauvetage. Les conditions météo, avec des vagues de plus de deux mètres, rendent improbables d’éventuelles traversées. Mais le bateau de SOS MEDITERRANEE patrouille en pleine mer, qu’il fasse beau temps ou mauvais temps. Prêt à intervenir pour aider ceux qui en ont besoin. Mais parfois il est trop tard. Dimanche 23 avril, les sauveteurs ont fait une macabre découverte dans les eaux internationales au large de la Libye.
« Quand tu repères un point gris qui dérive sur la ligne d’horizon faite de vagues et d’écume… ton cœur s’emballe. Tu ne peux pas t’y habituer » confiait Stéphane, officier de marine marchande, volontaire de SOS MEDITERRANEE, au cours d’une longue journée de « watch ». Quand l’Aquarius arrive dans la zone de sauvetage au large de la Libye, le Capitaine, les Officiers et les volontaires de SOS MEDITERRANEE se relaient sur la passerelle pour des quarts de veille active. Avec leurs jumelles, ils scrutent l’horizon. A la recherche d’un bateau pneumatique, d’un bateau en bois. D’une embarcation en détresse à secourir.
Parfois, il arrive de repérer ce que l’on n’aurait jamais voulu voir en face.
Nous venions juste de quitter la Sicile, l’image de l’Etna en éruption encore imprimée dans nos esprits. Alors que l’Aquarius sortait du port de Catane, nous avions tous les yeux rivés sur la dangereuse beauté du volcan et les coulées de lave incandescente dévalant les pentes de sable noir. Comme si nous espérions que ce signe de la Nature serait de bon augure pour cette nouvelle mission qui débutait. Oubliant que la Nature – le volcan ou la mer – peuvent aussi être dangereux et sans pitié pour l’homme.
L’Aquarius venait d’arriver dans la zone de sauvetage au large de la Libye, les premiers rayons du soleil venaient caresser la silhouette orange du bateau, quand Till, volontaire de SOS MEDITERRANEE, repérait une forme étrange flotter à l’horizon.
Une ombre. Celle d’un corps humain. Le visage dans l’eau. Mort.
C’était tôt le matin. Nous venions juste de nous réveiller et de prendre notre petit déjeuner. Comme dans la vie normale. Tout en bavardant, nous étions en train de rejoindre le shelter pour la réunion du matin. C’est là que le SAR Co a annoncé la nouvelle.
« Nous avons repéré un cadavre ».
Douche froide. Silence. Nausée. Bien sûr ce n’est pas la première fois que nous nous retrouvions avec la mort en face. Bien sur, ce ne serait pas la dernière fois que nous verrions un cadavre flottant dans l’eau. Nous le savions. Mais nous nous retrouvions de nouveau à éprouver ce sentiment envahissant d’impuissance et de colère.
Certains semblaient l’appréhender avec un certain détachement. « Quand tu fais ce travail, tu dois garder de la distance ». D’autres étaient révoltés. « Ce n’est pas normal. On ne devrait pas tomber sur des cadavres en traversant la Méditerranée ». D’autres encore se retrouvaient à penser. « Qui était cette personne ? Quelle était son histoire ? Où sont ses amis, sa famille ? Comment cela est il arrivé ? »
Le plus triste, c’est que nous n’aurons sans doute jamais les réponses à toutes ces questions. Nous ne saurons jamais son histoire. Mais au moins, nous avons retrouvé son corps. Et cette personne ne sera pas morte pour rien, elle n’a pas disparu en Méditerranée sans que personne ne s’en aperçoive.
Latitude, longitude. Les coordonnées du cadavre flottant dans l’eau ont été immédiatement transmises au MRCC, le Maritime Rescue Coordination Center de Rome. Un peu plus tard, un autre bateau de sauvetage, équipé d’une morgue, le Vos Hestia de l’ONG Save the Children, est venu repêcher le corps pour le ramener en Europe.
C’était le corps d’une femme. Morte depuis une semaine environ. Très probablement un autre victimes de ce week-end de Pâques dramatique en Méditerranée, au cours duquel plus de 8000 personnes ont été secourues et treize ont perdu la vie. Le bilan s’alourdit, comme disent les médias. Mais cela ne fera pas la une des journaux.
« La Méditerranée est un des plus beaux endroits que je connaisse. Mais aujourd’hui, il m’arrive de regarder cette mer splendide avec horreur. C’est un cimetière. Aucun être humain ne mérite de mourir ainsi » confiait Mary, volontaire de SOS MEDITERRANEE.
Voilà pourtant ce qu’il se passe aujourd’hui en Méditerranée. Aux portes de l’Europe. Des gens meurent. Des cadavres flottent dans l’eau. Et les bateaux de sauvetage, se transforment en cortèges funèbres.
Texte : Natalia Lupi
Traduction et édition : Mathilde Auvillain
Photos : Kenny Karpov