Depuis l’Ocean Viking, Jérôme, responsable de l’un de nos semi-rigides d’intervention, nous livre ses premières impressions suite au sauvetage de 91 personnes réalisé en Méditerranée centrale le 19 mai au matin. Parmi elles, entassées, sans gilet de sauvetage, sur un radeau de fortune fait de morceaux de caoutchouc et d’un bout de bois en guise de pont, se trouvaient 29 femmes dont six enceintes.
« J’ai assisté l’une des femmes enceintes, il y avait aussi un bébé de trois mois, mais je ne l’ai pas vu à ce moment-là. J’ai été marqué par la capacité de cette femme à monter debout sur le boudin du pneumatique en détresse et à attraper nos bras. Je me suis fait la réflexion que si elle glissait, si elle tombait, j’allais avoir beaucoup de mal à la retenir. Elle a sauté à bord du semi-rigide et quand nous sommes arrivés au débarcadère de l’Ocean Viking, elle a grimpé toute seule à l’échelle. Je me rappelle lui avoir dit « you are very brave » ou quelque chose comme ça, une phrase complètement inutile, je pense a posteriori.
On a fini l’évacuation des personnes en détresse de leur radeau d’infortune à notre canot d’intervention. Pendant que nous nous dirigions vers l’Ocean Viking pour les débarquer un rescapé nous a dit qu’ils étaient deux embarcations au moment du départ et qu’ils avaient navigué ensemble jusqu’à peu de temps avant notre arrivée. Ma collègue, Lisa, a immédiatement averti nos équipes à bord de l’Ocean Viking via nos radios VHF: «les rescapés nous disent qu’un autre pneumatique est parti en même temps qu’eux, ils doivent être dans le secteur, restez attentifs.” Nous avons débarqué tout le monde, les femmes enceintes, les bébés, les hommes. Un des hommes était si faible qu’il n’arrêtait pas de pleurer.
Le temps que l’on finisse l’évacuation, l’Ocean Viking s’est mis en position pour récupérer nos bateaux semi-rigides d’intervention rapide. Mais Sachant qu’une autre embarcation possiblement en détresse n’était pas loin, nos collègues sur la passerelle ont continué à scanner l’horizon aux jumelles avant de nous demander de remonter à bord de l’Ocean Viking. Ils ont alors repéré le deuxième pneumatique à 4 miles de nous.
Toutes ces étapes se sont déroulées de manière extrêmement calme, méticuleuse. On est très concentré dans ces moments-là.
A l’instant où le second canot pneumatique était repéré, la passerelle nous a dit « on se met en route, les semi-rigides, vous restez à côté de l’Ocean Viking, on ne vous récupère pas ».
Nous avons passé, je pense, dix ou quinze minutes à faire route vers l’embarcation, pendant que , Louisa, la coordinatrice de la recherche et du sauvetage, depuis la passerelle, nous faisait une première évaluation de la situation à la radio. « Le bateau a l’air très chargé », nous a-t-elle dit.
Nos trois semi-rigides sont alors partis en direction de l’embarcation. Celui en charge de la première évaluation, nous a confirmé que le bateau pneumatique était surchargé. En arrivant sur la zone de sauvetage, mon semi-rigide est missionné pour rester à mi-chemin pendant les premières évaluations pour pouvoir aller chercher, des moyens de flottaison et sauvetages supplémentaires en cas de besoin.
De loin, j’ai observé cette embarcation, qui était vraiment très mal construite, en plus d’être surchargée. Les coutures du boudin n’étaient même pas homogènes. En tournant autour, on a aussi senti de fortes odeurs d’essence.
Heureusement, pendant le sauvetage, tout s’est aussi bien passé que possible dans ces conditions. »