L’une des missions de SOS MEDITERRANEE est de témoigner. Témoigner de ce qui se vit en pleine mer Méditerranée, témoigner des parcours, des histoires des rescapés recueillis à bord de l’Aquarius. Témoigner pour sensibiliser l’opinion publique et interpeller les dirigeants européens sur ce drame quotidien aux portes de l’Europe. Un trio de lectrices s’est créé au sein de l’antenne bénévole de Marseille, pour soutenir cette mission et s’en faire le relais avec « Il y a des montagnes dans la mer ! ». Anaïs, Cécile et Karine y proposent lectures de témoignages et de textes d’auteurs.
« À travers nos voix, nous donnons à entendre ces histoires de vies, ces histoires de femmes, d’hommes, d’enfants. Pour donner corps à l’image désincarnée de ce terme générique de « migrant ». Pour sensibiliser les consciences.
S’engager à raconter, à informer, à ne pas taire
Nous étions toutes trois engagées en tant que bénévoles auprès de SOS MEDITERRANEE. Lorsque le livre « Les naufragés de l’enfer – Témoignages recueillis sur l’Aquarius » * est paru, nous nous sommes retrouvées autour d’un même désir : donner à entendre ces mots. Aussi, nous avons créé des séances de lectures publiques.
S’engager à dire, à raconter, à ne pas taire, à crier, à hurler s’il le faut. S’engager à dénoncer, à s’informer et à informer, à préciser, à détailler. S’engager à dire les murs meurtriers à nos frontières, dire les morts, dire la torture, dire la vente d’êtres humains. Ne pas taire les milliers de corps au fond de la mer, celle dans laquelle on nage, auprès de laquelle on puise la force lorsque la ville nous étouffe.
“Rien que de la cruauté à l’état pur… Personne n’en parle…”
“J’ai une rage en moi qui me pousse à raconter. Il faut absolument faire savoir au monde que quand tu fais ce voyage, tu entres dans une autre dimension, dans une nouvelle vie où, à chaque nouvelle étape, il n’y a ni droit, ni pitié, ni sentiment… Rien que de la cruauté à l’état pur… Personne n’en parle… Moi, je voulais juste vivre libre. Voilà pourquoi je suis parti.” témoigne Abdoulaye, rescapé, dans « Les naufragés de l’enfer ».
Nous avons assemblé nos savoir-faire, afin de les mettre au service de notre engagement. Chacune de sa place : comédienne, metteure en scène, activiste des mots, directrice de festival, chargée de développement culturel. Nous avons croisé nos univers, nos sources, nos humanités, échangé nos regards.
De là sont nées les lectures « Il y a des montagnes dans la mer ! », expression extraite du récit de la traversée d’une personne rescapée, vivant aujourd’hui à Marseille. Aux témoignages entremêlés s’ajoute la parole de deux auteurs : l’écrivaine Maylis de Kerangal dans son essai « A ce stade de la nuit », écrit à la suite du naufrage du 3 octobre 2013 qui causa la mort de 366 personnes au large de Lampedusa ; et celle du poète Patrick Chamoiseau, membre du comité de soutien de SOS MEDITERRANEE, dans son plaidoyer « Frères migrants ».
Les lectures durent une vingtaine de minutes et sont accompagnées d’une réalisation sonore conçue par Karine Fourcy. A l’issue de la présentation, un échange est proposé avec le public. Mais d’abord, il y a un silence. Un silence qui dure plus ou moins longtemps. Puis les langues se délient, des questions se posent. Les auditeurs veulent comprendre davantage encore l’histoire et le parcours des rescapés. Parfois, certains, les yeux humides, se sentent plus concernés que d’autres, parce qu’un parent, un voisin, un ami ne leur avait jamais vraiment raconté ‘comment c’est là-bas’.
“Ce que vous venez de raconter, c’est exactement ce que j’ai vécu… merci pour ce que vous faites”
Passée l’émotion, il y a souvent l’incompréhension, une envie d’aider aussi, chacun à sa manière. Et puis, au fond de la salle, il y a toujours une personne qui reste silencieuse, le regard lointain, profond, qui pense à sa famille, restée au pays, qui revit, à travers nos mots, son propre parcours, ses souffrances, les morts autour d’elle, les batailles menées pendant des mois, voire des années pour être là, aujourd’hui, parmi nous, saine et sauve. Ensuite elle se lève et vient nous dire, droit dans les yeux, ‘tu sais, ce que vous venez de raconter, c’est exactement ce que j’ai vécu… merci pour ce que vous faites.”
‘Il y a des montagnes dans la mer !’ a été entendue à cinq reprises à Marseille, Aix-en-Provence et Colmars-les-Alpes. Une représentation aura lieu le 28 mars à la Biennale des écritures du réel (Marseille), et, au printemps, à Tavernes (Var). C’est une proposition en mouvement. Elle se nourrit au gré de l’actualité, des rencontres et des lieux. D’autres témoignages notamment de marins-sauveteurs sont en train d’être collectés et des joueurs de ka, le tambour du Gwoka, musique issue de la résistance des esclaves de Guadeloupe pourraient enrichir les lectures.
Nous sommes à l’écoute de toute proposition pour faire entendre ces paroles et échanger avec le public. Envoyez vos demandes à contact@sosmediterranee.org à l’attention d’Anaïs Enon ».
* « Les naufragés de l’enfer – Témoignages recueillis sur l’Aquarius », récit de Marie Rajablat, Photos de Laurin Schmid paru chez DIGOBAR Editions
Texte : Anaïs Enon, Karine Fourcy, Cécile Silvestri / SOS MEDITERRANEE
Photos : « Au-delà des vagues, entendre les mots et les visages. » – Zen – Sinawi Medine /// Lecture Africa Fête 2017 – Chris Boyer
Autres ouvrages cités : « Frères migrants », Le Seuil, Patrick Chamoiseau /// « A ce stade de la nuit », Editions Verticales, Maylis de Kerangal