Un portrait

Une histoire

Abbas*

Ghana

Pays d'origine

31 ANS

Âge

« Tout ce qu’ils voient sur le corps d’un Noir, ils le prendront – vous n’avez pas le droit de l’avoir. »

Abbas*, rescapé originaire du Ghana

 

Afin que leur histoire ne soit pas oubliée, nous publions les témoignages, recueillis à bord de notre navire et traduits de l’anglais, de celles et de ceux qui ont traversé la Méditerranée centrale pour fuir la Libye. Aujourd’hui, nous relatons le récit d’Abbas, Ghanéen passionné de mode qui a quitté son pays pour tenter de réaliser son rêve.

Témoignage recueilli le 08.06.2018

« Les coups sont un passage obligatoire. » 

Je m’appelle Abbas*, je suis un créateur de mode de 31 ans originaire d’Accra, au Ghana. Je voyage seul, mais j’ai rencontré mon ami Ibrahim ici, par hasard, dans un fast-food ghanéen à Tripoli. Nous avons pris le bateau ensemble.

J’ai quitté le Ghana en 2016. Je suis parti au Nigeria car la vie était difficile chez moi et je pensais que ce pays serait plus adapté au monde de la mode. J’ai pris un bus d’Accra à Lagos et je suis resté au Nigeria pendant trois mois. J’ai un ami qui vit à Munich, et il m’a envoyé de l’argent pour que je puisse lancer ma propre entreprise. Malheureusement, cela n’a pas marché, je suis donc revenu au Ghana, avant de retourner une seconde fois au Nigeria. J’y suis ensuite resté deux ans.

Pendant mon séjour, j’ai discuté avec un ami ghanéen qui vivait en Libye, et il m’a semblé que les conditions de vie y étaient meilleures qu’au Nigeria. Là-bas, il y avait beaucoup de criminalité, surtout autour du delta du Niger. Il y a des « bad boys » qui ne veulent pas travailler et qui veulent gagner de l’argent facilement. Si vous n’êtes pas du coin, ils vous arrachent vos téléphones. Je n’ai pas eu de problèmes, mais j’avais constamment peur.

Mon ami en Libye m’a encouragé à venir, je suis donc arrivé dans ce pays le 17 mars 2018. Je suis allé à Agadez, au Niger, avant de transiter vers la Libye. Sur le chemin, nous avons eu un accident de voiture et je me suis fracturé l’épaule. Vous voyez l’os ici dépasse et encore aujourd’hui je ne peux rien soulever de lourd. L’accident s’est produit parce que le chauffeur a vu des soldats, et puisqu’il savait que le fait de nous transporter était illégal, il a paniqué et c’est là que la collision a eu lieu. Je suis arrivé à Sabha, dans le Sud de la Libye, où je me suis reposé pendant une semaine pour me remettre de ma blessure.

Un jour, j’ai été arrêté dans la rue par des hommes libyens – pas des policiers, juste des hommes. Ils m’ont emmené dans une maison vide et m’ont battu pendant deux jours. (Son ami Ibrahim ajoute en riant : « Les coups sont un passage obligatoire. ») Ensuite, d’autres hommes sont venus me prendre et m’ont mis dans le coffre d’une voiture pour me conduire à Tripoli. Nous nous sommes arrêtés à plusieurs endroits pour changer de voiture et de conducteur, et au bout de cinq jours, j’ai atteint la capitale libyenne. C’était l’enfer. Ces jours-là étaient vraiment l’enfer. Une nuit, ils m’ont juste attaché à un buisson et ils m’ont laissé là, jusqu’à ce que quelqu’un vienne me chercher le lendemain. Je ne pouvais qu’espérer que quelqu’un viendrait.
 

« Le problème est qu’une fois arrivée en Libye, vous ne pouvez pas en sortir. » 

Quand je suis arrivé à Tripoli, j’ai pu appeler mon ami et il a payé la caution. J’ai vécu avec lui pendant un moment. Il a essayé de me trouver un travail, mais si vous êtes nouveau et que vous ne parlez pas arabe, vous devez constamment surveiller vos arrières. Tout ce qu’ils voient sur le corps d’un homme noir, ils le prendront – vous n’avez pas le droit de l’avoir. Vous voyez, cette bague-là, ils l’auraient prise, c’est pour cela que je ne l’ai jamais portée en Libye. Elle n’est pas chère, mais je ne l’ai jamais portée.

Le problème est qu’une fois arrivé en Libye, vous ne pouvez pas en sortir. Les mêmes personnes qui vous ont volé à l’entrée vous voleront de nouveau à la sortie. Ils vous dépouilleront de votre argent quand vous irez à la frontière. J’ai peur de cette eau. C’est fou, j’ai vu des photos de bateaux chavirés sur CNN, sur Al Jazeera. Alors, quand je suis monté sur le bateau hier soir, je me suis dit : « Aujourd’hui, c’est moi sur le bateau. » C’est quelque chose que j’avais l’habitude de voir sur mon téléphone. J’ai dû mettre mon esprit sur « pause » pour ne pas y penser.

Mon ami a payé ma place sur le bateau, et c’est la première fois que je fais la traversée. Quand j’ai rencontré Ibrahim au fast-food ghanéen, il m’a donné de l’espoir.

Le Nigeria est comme un paradis comparé à la Libye. Vivre en Libye est pire que d’être dans une prison européenne.

Crédits photo : Anthony Jean / SOS MEDITERRANEE

*Le nom et la photo ne correspondent pas à la personne qui témoigne afin de protéger son identité.


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