Un portrait

Une histoire

Jenny*

Cameroun

Pays d'origine

25 ANS

Âge

Avertissement 

Les éléments établis dans ces témoignages sont exclusivement tirés des propos tenus par les personnes rescapées secourues par nos équipes depuis 2016 et de nos observations en mer.

Certains récits de vie relatés ici comprennent des scènes d’une rare violence - torture, viol, extorsion, mise à mort et naufrage – qui sont très explicites. Nous préférons vous en avertir.

Les prénoms des personnes qui témoignent ont été modifiés pour préserver leur anonymat et leur sécurité.

De nombreuses organisations intergouvernementales comme le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) ou l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) ont amplement documenté et corroboré ces récits, notamment en ce qui concerne les violences – y compris sexuelles – subies lors du parcours migratoire, en Libye et en mer.

Avertissement – contenu difficile. Le texte suivant décrit des actes de violences sexuelles.

Jenny* a été secourue d’une embarcation pneumatique surchargée avec sa sœur en janvier 2021. À bord de l’Ocean Viking, cette Camerounaise de 25 ans a souhaité parler de son vécu, depuis son pays d’origine jusqu’en Libye, en traversant le désert du Sahara via le Nigeria, le Niger et l’Algérie. Quand elle sera dans un endroit sûr, Jenny rêve de travailler avec les personnes âgées.  

 

On nous tapait comme des animaux. 
 

Quand Jenny vient me voir pour me raconter son histoire, la sage-femme lui propose d‘aller dans la salle de consultation située dans la clinique du bateau, afin de pouvoir parler en confiance.

Assise sur le lit de cette minuscule pièce, avec sa sœur à ses côtés, Jenny parle à voix basse, de façon presque inaudible, mais elle insiste pour raconter son histoire. « Mon cas était vraiment grave », commence-t-elle. 

« J’ai quitté le Cameroun avec mes sœurs. On est arrivées au Nigéria. Depuis le Nigéria, on a pris [la route pour] le Niger, dans le désert. A ce moment-là, j’étais déjà enceinte. Mais on ne vous laisse pas le choix. Avec tout ce qu’on nous faisait subir, comme on nous maltraitait dans le désert, j’ai commencé à saigner. On nous tapait comme des animaux. Tu es obligée d’obéir. » 

Du Niger, Jenny est arrivée en Algérie. Elle raconte un cycle d’exploitation, travaillant des heures interminables dans des bars sans être payée, presque sans aucune liberté individuelle. Jenny et ses sœurs ont fini par s’échapper de l’endroit où elles se trouvaient avec d’autres femmes de son pays natal, le Cameroun. Avec l’aide de connaissances rencontrées en Algérie, elles ont rassemblé suffisamment d’argent et sont parties une nouvelle fois à travers le désert. Lors de leur départ, Jenny est encore malade et affaiblie. « Moi, je n’avais plus de force. », dit-elle. 

Ils ont tout pris. Et puis ils m’ont violée. 
 

« Je marchais et je tombais. Je marchais, je tombais. Quand on a traversé la frontière entre l’Algérie et la Libye, je suis tombée. Un homme est venu me soulever. Je commençais à marcher, ça n’allait pas. Il m’a lâché la main. Je voulais marcher mais ça n’allait pas. » Séparée du groupe avec lequel elle faisait la traversée du désert, Jenny a été rattrapée par des hommes armés.  

« Quand ils m’ont arrêtée, j’ai essayé de crier une fois. C’est là qu’ils m’ont fermé la bouche. Ils étaient au nombre de quatre. C’était dans la nuit. » N’arrivant pas à trouver les autres personnes avec lesquelles Jenny voyageait, ces hommes l’ont agressée. « Ils m’ont violée », raconte Jenny. « Ils ont pris le téléphone que j’avais sur moi. Ils m’ont fouillée. Ils ont trouvé l’argent que j’avais sur moi. Ils ont tout pris. Et puis ils m’ont violée. » 

La sœur de Jenny lui tient la main. Toutes deux pleurent, mais Jenny veut continuer à parler de cette nuit dans le désert. Le « guide » qui menait le groupe a été le premier à se rendre compte de la disparition de Jenny. Pendant que le groupe attendait plus loin, il est reparti à sa recherche. 

Pour nous protéger, on faisait semblant d’être enceintes. 
 

« Tout ce qui s’est passé là-bas, toute la scène, il l’a vue. Mais il ne pouvait rien faire. Ils avaient des armes. Tous les quatre, ils avaient des armes », explique Jenny. « Les armes étaient partout sur moi. » 

Jenny raconte avoir laissé derrière elle sa robe et la perruque qu’elle portait, là où elle a été agressée. Après l’attaque, elle était désorientée. « Je ne savais plus où j’étais. Je marchais et demandais à Dieu de m’aider à retrouver les gens de mon groupe... J’étais seule. Je marchais, je marchais. » Lorsque le guide l’a retrouvée et qu’elle a finalement rejoint les autres, les gens ont pris conscience de ce qui s’était passé. « Tout le monde a commencé à pleurer. » dit-elle. « Tout le monde a commencé à avoir les larmes qui coulaient. » 

Pour l’heure, Jenny n’est pas prête à parler de ce qui leur est arrivé, à elle et à ses sœurs, en Libye. Elle dit qu’elles ont été à nouveau kidnappées, mais sa voix se brise. « Pour nous protéger, on faisait semblant d’être enceintes. », dit-elle. « On mettait du jus sur nos serviettes, pour faire comme si on était en train de saigner. Juste pour qu’on ne nous touche pas. » Jenny et sa sœur sanglotent, j’éteins le dictaphone. Les deux sœurs ont l’air épuisées. Ça suffit.

 


Crédit photo : Hippolyte / SOS MEDITERRANEE

*Le nom a été changé pour protéger l’identité de la rescapée.  

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