Un portrait

Une histoire

Esther*

Ghana

Pays d'origine

17 ANS

Âge

« J’ai 17 ans. Je veux vivre pour étudier! »

Le témoignage d’Esther*, rescapée secourue par SOS MEDITERRANEE, revient sur son départ précipité à la suite des menaces de mort de son père qui voulait la marier contre son gré, et de son difficile périple jusqu’à son sauvetage en mars 2018.  

J’ai 17 ans. J’ai quitté ma famille au Ghana puisque dans notre tradition, une fille doit marier le fils de son oncle paternel, mais moi je ne voulais pas car je souhaitais aller à l’école. Si tu es mariée, tu ne peux pas étudier ou même travailler. Ce n’est pas facile de vivre au Ghana pour une femme. Une femme doit se marier et avoir des enfants, elle doit l’accepter devant le « sanctuaire », l’autel familial traditionnel. Si tu n’acceptes pas les règles, la famille te rejette et te lance une malédiction. Ma mère ne voulait pas que je sois jetée à la rue, mais mon père m’a dit que si je ne mariais pas l’homme qu’il avait choisi pour moi, il me tuerait. Il m’a battue avec une courroie, il m’a menacée et il m’a crié : « si tu ne l’épouses pas, je vais te tuer ! ». J’ai un frère et deux sœurs qui sont mariées à des hommes choisis par mon père. Il m’a interdit d’aller voir mes sœurs tant que je ne serais pas mariée. Mon frère a aussi voulu me convaincre, il m’a frappée aussi, mais je savais que je voulais une vie différente.

Ma mère ne pouvait rien dire, elle ne voulait pas que je parte, elle pleurait et elle avait peur pour moi. Elle était malade, elle ne pouvait pas marcher parce que ses jambes sont paralysées. Elle n’a jamais pu s’opposer à la décision de mon père. Il m’a battue et m’a dit que si je ne lui obéissais pas, il n’hésiterait pas à me tirer dessus [avec une arme à feu].

J’ai finalement quitté mon pays à la fin du mois de janvier 2017. Le voyage du Ghana à la Libye a duré trois semaines. Je ne croyais pas que ce serait si difficile.

Mais la traversée en mer est pire que le voyage dans le désert, au moins il y a du sable là-bas. Dans le bateau, tout le monde pousse, vous êtes écrasés les uns sur les autres, si vous tombez dans la mer, personne ne vous aide, personne ne peut rien faire et vous mourez. Dans le désert, si vous cassez le moteur de la voiture, on peut toujours s’arrêter et le réparer.

Mais il est dangereux de s’arrêter dans le désert, si le camion redémarre et que vous n’êtes pas à bord, personne ne vous aide. J’ai vu beaucoup de cadavres dans le sable. Tout le monde est battu aux postes de contrôle, mais je n’avais rien à leur donner. J’ai essayé de me cacher pour qu’ils ne me remarquent pas, et je ne voulais ni voir ni entendre quoi que ce soit.

Nous sommes arrivés à Tripoli et je ne pensais qu’à trouver un emploi pour payer mon école. Mais je me suis vite rendu compte que la situation était très difficile. J’avais tellement peur. Puis j’ai senti une explosion très forte: une bombe avait explosé dans la rue à côté de nous. J’ai vu un groupe d’hommes armés commencer à tirer. Ils ont tué tant de gens !

A Tripoli, je vivais dans la « zone noire ». On m’a amenée dans une grande maison où il y avait une quarantaine de filles noires qui étaient disponibles à la demande pour travailler en attendant de partir. Je faisais le ménage pour une femme qui ne m’a jamais payée. Si je lui demandais de l’argent, elle me battait. C’était très frustrant et même effrayant parce que j’avais toujours peur que quelque chose se passe. Parfois, on entendait des coups de feu et de très fortes explosions. J’ai vécu dans cette maison pendant un mois ou peut-être un peu plus.

Quand j’ai vu comment les choses se passaient à Tripoli, j’ai eu très peur parce que j’ai réalisé que je ne pouvais pas rester là-bas et que je ne pouvais pas rentrer non plus. Dans les deux cas, je serais morte.

Je me sentais perdue.

Je ne savais rien des bateaux qui partaient pour l’Europe car j’étais venue en Libye pour travailler. Mais une nuit une bombe a été lancée sur la maison où je vivais, et des hommes sont venus nous prendre pour nous amener à l’endroit d’où les bateaux partent. C’était la nuit et je ne voyais rien sauf le bateau pneumatique blanc dans lequel nous étions. Je me souviens qu’il y avait beaucoup d’autres filles avec moi. Je n’ai rien payé, je n’avais pas d’argent. La femme pour qui j’avais travaillé en Libye avait dû payer pour mon voyage. J’ai demandé où nous allions et ils m’ont dit qu’on allait en Europe. Au début je n’avais pas peur car je ne pouvais rien voir. Mais quand le soleil s’est levé, j’ai été terrifiée de me retrouver au milieu de la mer. J’ai vu les autres pleurer, vomir, prier. Je n’ai pas bougé, je voulais pleurer mais j’avais trop peur de tomber à l’eau. J’étais paralysée par la peur.

J’ai pensé que si jamais j’étais sauvée, j’aimerais étudier pour aider les gens en prison. Parce que nous avons aussi vécu en prison, j’ai vu ce que cela signifie. Tant de jours sans manger et presque sans eau. Je veux cuisiner pour ceux qui sont en prison. Je voudrais dire à ma mère que je suis vivante, mais à mon père que je suis morte.

Je n’ai que 17 ans, je ne veux pas me marier, je veux vivre pour étudier.

* Le prénom et la photo ne correspondent pas à la personne qui témoigne ici afin de préserver son anonymat.

Témoignage recueilli à bord de l’Aquarius le 7 mars 2018

Photographe : Isabelle Serro / SOS MEDITERRANEE

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