Efe* a 30 ans lorsque qu’elle quitte le Nigeria pour aller travailler dans une riche famille tripolitaine. Ce n’est qu’une fois arrivée en Libye que la jeune femme se rend compte qu’elle a été vendue. La publication de ce témoignage extrait de l’ouvrage Les Naufragés de l’enfer de Marie Rajablat a pour objectif de faire entendre la parole encore trop rare des femmes dans les récits de migration.
Témoignage recueilli le 11 décembre 2016 à bord de l’Aquarius.
J’ai toujours pensé qu’il s’agissait d’exceptions et surtout que ça concernait uniquement le milieu de la prostitution. Je ne pensais pas que ça pouvait tomber sur n’importe quelle femme… Enfin, jamais je n’aurais pensé tomber là-dedans…
L’homme au teint clair, c’est juste un transporteur [Ndlr : il s’agit de l’homme qui a accompagné Efe et d’autres jeunes femmes à leur arrivée à Tripoli] qui vient prendre livraison de la marchandise pour un patron en Libye. Et le pire, c’est que ce patron c’est un Nigérian !
Arrivés à l’entrée de Tripoli, Efe et son groupe ont été arrêté.e.s par la police et emmené.e.s dans la grande prison, appelée Grey Garage. Les conditions de détention étaient terribles.
On entendait les gens crier de douleur. Y’avait des morts par terre…
C’était sale et très bruyant. On entendait les gens crier de douleur. Y’avait des morts par terre… En tous cas, ils ne bougeaient plus… Des fois, des prisonniers devaient les emmener dans une autre pièce puis on ne sait pas ce que les gardiens en faisaient.
Une fois, il y avait un couple. Les gardes sont venus violer la femme devant tout le monde et ils ont installé son mari sur une chaise et il devait regarder. Ils lui mettaient une arme sur la tempe et le tapaient avec la crosse s’il essayait de tourner la tête…
On entendait les gens crier de douleur. Y’avait des morts par terre.
C’est ce jour-là qu’ils nous ont changés de prison. Ils nous ont fait croire qu’on allait prendre la mer la nuit. En fait, ils nous ont emmenés à Zaouïa, une des pires prisons. Quand on est arrivés, les gardes avaient tiré sur des hommes. Ils baignaient dans leur sang par terre. Y’en a qui étaient morts. Y’en a qui sont morts dans la nuit. C’était terrible. Suis restée là une semaine.
Puis on nous a emmenés dans une maison pour attendre la nuit et à 1h du matin, ils nous ont poussés dans le bateau. On a dû retirer nos chaussures avant de monter. Ceux qui avaient des affaires, on leur a confisquées. Et on est partis comme ça… Moi aussi, j’aurais trop honte de rentrer chez moi après tout ça…
* Le prénom et la photo ne correspondent pas à la personne qui témoigne ici afin de préserver son anonymat.
Crédit photo : Hara Kaminara / SOS MEDITERRANEE