Un portrait

Une histoire

M.

Pakistan

Pays d'origine

55 ANS

Âge

23/05/2017

Date de sauvetage

M. a été secouru en pleine Méditerranée par l’Aquarius le 23 mai dernier. Ce naufragé pakistanais de 55 ans a une histoire singulière. Après avoir travaillé à la construction d’un barrage pour une entreprise italienne, il a sillonné les montagnes du Pakistan pour soigner les enfants atteints de polio. Cet engagement lui a valu de recevoir des menaces de mort répétées de la part d’opposants à ce programme d’aide gouvernementale. M. a fini par fuir le Pakistan pour la Libye, où il s’est retrouvé en proie aux gangs armés qui lui ont tout volé, et contraint de fuir de nouveau, par la mer. Quelques heures après le sauvetage, Kenny Karpov, photographe de SOS MEDITERRANEE, a recueilli son témoignage.

« L’Aquarius fait route vers le nord, vers l’Europe. A cause du vrombissement des machines, du bruit des vagues fendues par la coque orange du bateau qui l’a sauvé en mer la veille et encore traumatisé par ce qu’il vient de vivre, M., Pakistanais de 55 ans, n’arrive pas à dormir. Cet homme d’âge mûr, au visage buriné n’aurait jamais pu imaginer se retrouver un jour en pleine Méditerranée, à devoir jouer des coudes sur un bateau de sauvetage pour trouver quelques centimètres carrés pour s’allonger. Il y a 1004 personnes à bord de l’Aquarius ce soir-là. 1004 personnes secourues en pleine mer, au cours d’opérations de sauvetage sans précédent pour les équipes de SOS MEDITERRANEE.

Pour faire passer le temps, M. me raconte son histoire. Dans quelques heures, il débarquera en Italie. Ironie de l’histoire, pour lui qui a travaillé pendant presque un an pour une entreprise italienne au Pakistan. « J’ai commencé ma carrière comme ouvrier dans une grande usine de fabrication de ciment au Pakistan, puis pendant un an j’ai travaillé pour une entreprise italienne sur un chantier de construction d’un barrage sur une rivière. Après cela, en 2013, j’ai rejoint l’EPA, l’agence pakistanaise de protection de l’environnement. Nous nous occupions aussi de soigner les enfants atteints de polio». C’est là, à cause de son engagement dans ce programme humanitaire, que tous ses problèmes ont commencé. « J’ai commencé à recevoir des menaces de mort par téléphone, c’étaient les terroristes, ils voulaient que nous arrêtions de faire ce que nous faisions : aider les populations locales. Nous travaillions dans les montagnes, nous allions de village en village et notre seul objectif était d’aider les gens et surtout les enfants. Je ne pouvais pas arrêter comme ça… Je ne me suis pas laissé intimider ».

« Mais un jour, les opposants, ces terroristes, nous ont attaqués. Ils nous ont tiré dessus et deux personnes sont mortes. J’ai eu peur de voir arriver mon tour. Ce soir-là, j’ai parlé avec l’un de mes amis qui travaillait lui aussi pour ce programme, il m’a dit qu’il pouvait m’envoyer travailler en Libye. Je n’ai pas réfléchi longtemps, j’ai accepté. Je ne pouvais plus continuer à travailler dans ces conditions. Et j’ai bien fait : la veille de mon départ, pendant la nuit, l’un des terroristes m’a appelé et répété que si je n’arrêtais pas immédiatement le travail que je faisais, ils kidnapperaient mes enfants et qu’ils les tueraient. J’ai trois enfants, ils sont avec ma femme, au Pakistan. Je suis parti en 2015 ».

Une fois en Libye, il partage un appartement à Tripoli avec quelques amis Pakistanais. Grâce à quelques contacts, il trouve des petits boulots, sur les chantiers, qui lui permettent à peine de survivre et de mettre un peu d’argent de côté. « Mais un jour, environ six mois après mon arrivée, des hommes armés ont fait irruption chez nous. Ils ont tout pris ! Ils ont pris mon argent, mon téléphone. Après tout a été très difficile. Mais je n’ai pas baissé les bras, j’ai réussi à mettre un peu d’argent de coté et j’ai déménagé dans un autre quartier de la ville. Mais là, de nouveau, on nous a menacés et on nous a tout volé. En Libye, ils ne savent pas ce que c’est qu’un être humain, ils ont des armes, et ils tuent pour tuer. L’agent qui m’avait envoyé en Libye m’a dit qu’il me trouverait un moyen d’aller en Europe».

La suite, il me la laisse imaginer. Sans doute que cet « agent » a fini par l’appeler, un soir, pour lui dire que le bateau était prêt à partir pour l’Europe. M. ne savait pas que ce canot sur lequel il embarquait n’arriverait nulle part. Ce qui s’est passé en mer, il ne se rappelle plus, il est trop fatigué, il ne veut pas en parler. « Je n’arrive pas à dormir sur ce bateau. Je pense à ma femme, mes enfants. Je pleure toutes les nuits depuis que je les ai quittés. Je n’ai même plus de téléphone pour les appeler, je ne sais pas s’ils vont bien. J’espère que je pourrai demander l’asile en Italie, qu’ils pourront me rejoindre et que nous pourrons enfin vivre en sécurité ».

Témoignage recueilli par Kenny Karpov.

Traduction et édition : Mathilde Auvillain.

Crédit photo : Kenny Karpov.

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