« Il m’a emmenée dans une maison en ruine, dans une pièce où il m’a enfermée pendant plusieurs jours. »
Yasmine*, originaire de Côte d’Ivoire
Dans le cadre de notre projet de sensibilisation scolaire, nous publions aujourd’hui le troisième témoignage issu de Paroles de rescapé.e.s, une lecture réalisée par trois bénévoles marseillaises, tiré de l’ouvrage « Les Naufragés de l’enfer », de Marie Rajablat, infirmière embarquée à bord de l’Aquarius.
Témoignage recueilli à bord de l’Aquarius, le 03.12.2016
Dans une volonté de sensibiliser les plus jeunes aux enjeux des migrations en mer, des bénévoles de l’association ont tiré de courts extraits de leur performance artistique « Il y a des montagnes dans la mer ». Ce témoignage, auquel Karine a prêté sa voix, a été mis en images par Brigitte. Ce récit relate le parcours de Yasmine*, une jeune femme partie pour l’Europe avec sa famille.
« Il y avait des morts partout en ville et dans les villages. »
Yasmine est ivoirienne. À 16 ans, elle quitte son pays, accompagnée de sa mère et de son oncle. Au moment où elle raconte son histoire, la jeune fille ne connaît pas précisément les raisons des conflits qui entraîneront le départ de sa famille : « Nous, on est Dioulas […] Je ne sais pas ce qui nous oppose, mais en tous cas, ces affrontements sont sanglants […]. ».
Face à cette escalade de la violence, Yasmine part avec sa famille, en direction de l’Europe. La première partie du périple se passe sans embûche : « On a traversé le Mali puis le Niger […] » jusqu’à leur arrivée en Libye : « Après, ça a été terrible … ».
Confrontée à des actes racistes d’une extrême violence, Yasmine perd ses proches, avant d’être séquestrée, puis violentée par un chauffeur de taxi : « Il m’a obligée à faire toutes sortes de choses ». Elle réussira finalement à s’enfuir pour l’Europe, sans sa famille, avant d’être secourue par SOS MEDITERRANEE.
Ce travail de sensibilisation est aujourd’hui exclusivement porté par l’important réseau de bénévoles de l’association. La diffusion de ces histoires auprès des jeunes générations reste aujourd’hui essentielle, car elle permet de redonner de l’humanité aux rescapé.e.s, souvent réduit.e.s au terme de «migrant.e.s».
*Afin de préserver son identité, le nom et la photo de à la personne qui livre son témoignage ont été modifiés
Crédits
Montage : Brigitte, bénévole
Voix : Karine, bénévole
Son : Radio Bam
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Transcription complète de la lecture du témoignage de Yasmine
« Nous, on est Dioulas, une des plus importantes ethnies… Il y a les Bété, les Baoulés, les Peuls, les Malinkés… Je ne sais pas ce qui nous oppose, mais en tous cas, ces affrontements sont sanglants… Il y avait des morts partout en ville et dans les villages. Personne n’était en sécurité et la police ne réussissait pas à maintenir l’ordre… Alors mon oncle a décidé, avec l’accord de ma mère, de quitter le pays pour l’Europe. On est partis tous les trois, ma tante, mon oncle et moi. On a traversé le Mali puis le Niger sans problème. Après, ça a été terrible… Arrivés en Libye, c’est devenu dangereux. Partout il fallait se cacher pour échapper aux rebelles. On se déplaçait en groupe, avec nos frères noirs, pour essayer de se protéger les uns les autres. On nous demandait toujours de l’argent en plus, pour pouvoir passer d’une étape à une autre. Ils battaient des hommes. Ils tiraient sur d’autres. Ils n’étaient pas morts mais ils les laissaient là, comme ça. On a vu plein de morts sur le bord de la route. Ils étaient laissés là, comme ça, sans tombe.
A Beni-Walid on a été arrêté par les rebelles. Comme ils voulaient séparer les femmes des hommes, ils se sont interposés. Alors les rebelles ont tiré. Mon oncle a été tué. Nous, les femmes on s’est enfuies mais certaines ont été rattrapées, comme ma tante. Moi, j’ai réussi à me cacher. Puis, j’ai vu un chauffeur de taxi qui n’avait pas l’air méchant. Il avait l’air généreux. Alors, je suis allée lui demander de l’aide…
Il m’a emmenée dans une maison en ruine, dans une pièce où il m’a enfermée pendant plusieurs jours. Je ne sais pas exactement combien mais pas plus d’une semaine… Il m’a obligée à faire toutes sortes de choses… Des fois il demandait juste que je le touche… Des fois il voulait coucher avec moi… Il s’en allait puis il revenait… Ça recommençait… Des fois je faisais comme si je ne réagissais plus… Il me donnait alors un peu à boire et à manger… Puis il recommençait… Et un jour il a oublié de fermer la porte à clé, alors je me suis enfuie. J’ai retrouvé des frères qui m’ont prise dans leur groupe pour me protéger. On est partis par Sabratha… ».