Un portrait

Une histoire

Kader*

Côte d'Ivoire

Pays d'origine

25/04/2022

Date de sauvetage

Avertissement 

Les éléments établis dans ces témoignages sont exclusivement tirés des propos tenus par les personnes rescapées secourues par nos équipes depuis 2016 et de nos observations en mer.

Certains récits de vie relatés ici comprennent des scènes d’une rare violence - torture, viol, extorsion, mise à mort et naufrage – qui sont très explicites. Nous préférons vous en avertir.

Les prénoms des personnes qui témoignent ont été modifiés pour préserver leur anonymat et leur sécurité.

De nombreuses organisations intergouvernementales comme le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) ou l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) ont amplement documenté et corroboré ces récits, notamment en ce qui concerne les violences – y compris sexuelles – subies lors du parcours migratoire, en Libye et en mer.

Kader*, originaire de Côte d’Ivoire, est l’une des 295 personnes secourues par l’Ocean Viking entre le 24 et le 27 avril 2022, d’une embarcation pneumatique en détresse, aux côtés de 93 autres personnes. Pendant le sauvetage, les garde-côtes libyens se sont approchés de l’opération, provoquant la panique.

 Un groupe de personnes est tombé à l’eau peu après que nous ayons quitté la plage. Nous n’avons pu récupérer que trois personnes. 

J’ai quitté mon pays avec ma fille de cinq ans et ma petite sœur. Nous avons traversé le désert et sommes allés au Niger. Après avoir franchi la frontière de la Libye, les chauffeurs nous ont vendus. Nous avons été séparés et amenés dans différentes cellules. Elles étaient dans une cellule avec environ quatorze femmes et six hommes. Ma fille et ma petite sœur sont toujours en Libye. 

Avec d’autres hommes, j’ai été emmené par un homme, dans sa « prison privée », dans son sous-sol. Nous étions dans une cellule, sans espace pour dormir. L’homme nous a enfermés pendant deux jours sans rien nous dire. Sans nourriture. Nous avons crié et fait du bruit pour que quelqu’un vienne nous expliquer pourquoi nous étions là. Un bidon de cinq litres était dans la cellule pour que nous puissions y uriner. C’est tout. Nous étions 27 personnes dans cette cellule, qui ne mesurait pas plus de cinq mètres carrés. Nous ne pouvions que nous asseoir et devions dormir dans cette position inconfortable. 

Lorsque l’homme est enfin venu nous expliquer pourquoi nous étions là, il nous a dit qu’il nous avait achetés à la police et qu’il voulait nous vendre pour rentabiliser son investissement. Chacun d’entre nous devait payer 300’000 CFA [environ 460 euros] pour être libéré.  Nous avons été battus et filmés en même temps, pendant que cet homme demandait une rançon à nos parents. Nous avons été battus, battus, battus. L’homme a reçu de l’argent, mais nous n’avons pas été libérés. C’était comme ça tous les jours, et nous n’avions presque rien à manger. Nous ne buvions que de l’eau salée, comme de l’eau de mer. Nous ne voyions ni de lumière ni le soleil. Nous étions dans l’obscurité. Quand il recevait de l’argent de notre famille, il nous disait que l’argent ne passait pas et nous étions battus encore et encore. Il a reçu de l’argent plusieurs fois, jusqu’à ce qu’il décide que ça lui suffisait. 

Une fois que ces gens vous libèrent, ils vous emmènent dans leur voiture et vous déposent dans la rue pendant la nuit. Mais vous n’êtes toujours pas en sécurité. Vous pouvez être à nouveau kidnappé et à nouveau vendu. Cela peut être pire, et les gens peuvent vous vendre pour un million de CFA. Si cela se produit, ils ne vous relâcheront que si vous payez deux millions de francs CFA. Certaines personnes perdent tout espoir. Ils n’appellent même plus leurs parents. Ils attendent juste de mourir. Nous avons été beaucoup torturés. 

Si vous regardez mes bras et mon dos, vous pouvez voir les cicatrices. Ils ont utilisé des câbles de batterie. Il y a beaucoup de prisons** comme celle-ci dans la ville.  La Libye n’est pas facile. Des Libyens nous ont dit que nos amis avaient été libérés, mais je ne le crois pas, la plupart d’entre eux étaient dans leur sous-sol. Ils violent les femmes quand ils veulent. Leur famille pense généralement qu’ils sont morts. Mais ils sont dans une cave. 

Après avoir été libéré, je me suis caché dans la ville avec les 26 autres personnes qui étaient dans la cellule. Nous n’avons pas dormi pendant plus d’un jour. Nous avons trouvé un bateau pour fuir la Libye. Nous sommes partis à trois heures du matin. Un groupe de personnes est tombé à l’eau peu après avoir quitté la plage. Ils étaient fatigués. Ils se sont endormis. Ils sont tombés par-dessus bord. Douze personnes se sont perdues en mer. Le bateau pneumatique était déséquilibré après leur chute, j’ai dû m’asseoir sur le bord du pneumatique, où se trouvaient ces personnes, pour équilibrer le poids. Quand les gens sont tombés à l’eau, nous n’avons pu récupérer que trois personnes. Nous n’avons pas revu les autres. L’un de mes amis qui était en détention avec moi fait partie de ceux qui sont morts. Je l’ai perdu. Les gens étaient très faibles sur le bateau en caoutchouc, les gens vomissaient, ils étaient aussi intoxiqués par l’odeur du carburant. J’ai perdu espoir. Je ne pensais pas que je pourrais être secouru, mais vous êtes finalement arrivés.

*Le prénom a été changé pour protéger l’identité de la personne qui témoigne. 

** Il est fréquent que les personnes rescapées détenues arbitrairement en Libye désignent comme “prison” les centres de détention informels.


Crédits : Claire Juchat / SOS MEDITERRANEE

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