Éric, la trentaine, monte l’échelle du bateau de sauvetage sur le pont de l’Aquarius. Il se retourne jusqu’à ce quelqu’un lui passe sa fille ainée, Anna. Il la serre contre lui, séchant ses cheveux avec une couverture. Des gens viennent la taquiner, la faire sourire. Elle ne les regarde pas, son père parle pour elle. “Elle a quatre ans. Elle vient de Libye.”
Éric est électricien, sa femme, Adeline, est professeure. Ils sont camerounais. Il a fait la navette entre la Libye et le Cameroun pendant plusieurs années avant d’amener sa femme en 2012. Anna, Ange et Aréna sont nées à Tripoli.
“La dernière fois que je suis rentré au Cameroun, j’ai vu qu’il n’y avait rien pour moi. Mais en Libye, on est persécutés. On m’a enlevé plusieurs fois et demandé beaucoup d’argent. Je m’en suis sorti parce que je parlais arabe. Parfois les libyens m’amenaient à la police. J’explique que mes enfants sont libyennes. Alors ils me relâchent.”
La famille a décidé de partir en mars. “Trop de terrorisme, trop de kidnapping, les filles ont dû toujours rester dans la maison. Ici, c’est la première fois qu’elles voient d’autres gens,” dit Éric.
“Je n’avais pas pensé à aller en Europe, mais ces derniers mois, c’était trop.”
Il a trouvé un travail, ce qu’il qualifie de miracle. Il a payé un passeur et la famille a dû aller dans un camp. “On pensait qu’on allait voyager le lendemain, mais on attendait, entassés avec 200 personnes. Mes enfants ont à peine mangé pendant deux mois. Mais on a persévéré, jusqu’à ce qu’ils nous mettent dans le bateau. La mer a été haute, mais on s’est accrochés et on a prié.”
“Là-bas vous avez tout le temps peur d’être agressés ou tués,” dit Adeline. “Avec les enfants, on aimerait pouvoir penser au futur.”
Adeline veut reprendre ses études et recommencer à travailler. Mais elle veut d’abord que sa famille prenne un bain. Ils n’ont pas pu depuis trois mois. “Quand vous manquez d’hygiène, comment pouvez-vous vous projeter dans le futur ?”
Par Ruby Pratka
Crédits Photos : Yann Merlin