A tout juste 20 ans, Mary a déjà connu et vécu plus d’expériences extrêmes que la moyenne des jeunes Européens de son âge. Début mars, elle a embarqué pour sa deuxième mission à bord de l’Aquarius en tant que membre de l’équipe de sauveteurs en mer de SOS MEDITERRANEE. Tout sauf ingénue, cette jeune anglaise a les idées claires et a choisi d’agir pour tenter de faire changer les choses.
« Il n’existe pas de plus beau sentiment que celui d’avoir l’impression d’avoir aidé un autre être humain » confie Mary Finn, les yeux vissés sur ses jumelles, pendant son tour de « watch » sur la passerelle. Ses longs cheveux blonds s’emmêlent dans les rafales de vent d’ouest. La journée est loin d’être terminée. Après plusieurs semaines en mer, les premiers signes d’épuisement et de tension gagnent l’équipage, mais elle, semble infatigable. Exemple de détermination, cette jeune femme originaire de l’Essex en Angleterre est partie à 16 ans de la maison familiale pour aller étudier dans le dans le sud du pays de Galles, avant de suivre la formation de pilote de canot de sauvetage de l’UWC Atlantic College.
C’est dans le cadre de ce cursus qu’elle rejoint ensuite, pour la première fois, les volontaires de l’ONG SeaWatch à Lesbos pour son projet de mémoire de photojournalisme sur la crise des réfugiés sur cette île grecque. « Quand je me suis retrouvée à Lesbos, tout a changé, mon approche de la vie a été bouleversée. J’ai complètement changé d’idée sur ce que je voulais faire. J’ai toujours beaucoup de respect pour les photographes et les journalistes, pour le travail qu’ils font, mais en fait, j’ai compris que ce n’était pas fait pour moi. A Lesbos, je me suis rendu compte que si je devais faire un choix, je préférais être du côté de ceux qui tendent la main, de l’action concrète». Mary laisse alors son appareil photo à terre, elle embarque sur les canots de sauvetage à Lesbos et devient ensuite pilote de RHIB du Minden – bateau de l’ONG Life Boat Project- avant d’être recrutée par SOS MEDITERRANEE pour venir prêter main forte à bord de l’Aquarius. Mary passe ainsi deux rotations à bord à l’automne 2016 puis retourne en Grèce travailler dans un camp de réfugiés à Thessalonique… tout en gardant à l’esprit de revenir au plus vite à bord de l’Aquarius. « A peine avais-je posé le pied en Grèce, que déjà, je voulais repartir en mer. Il n’existe pas de sensation plus forte que celle de sauver la vie d’un autre être humain ».
En ce mois de mai 2017, plus d’un an après l’accord entre l’Union Européenne et la Turquie qui a drastiquement réduit les traversées de réfugiés des côtes turques vers la Grèce, Mary a retrouvé à bord de l’Aquarius des sauveteurs qu’elle avait rencontrés à Lesbos. En Méditerranée Centrale, le contexte est différent, mais le fond du problème reste le même. « Ici, les personnes que nous aidons sont toujours des personnes en fuite qui cherchent un refuge. Mais la différence, c’est que nous les retrouvons en pleine mer et que les bateaux sur lesquels ils embarquent sont plus grands que ceux que nous secourions à Lesbos. La première fois que j’ai vu un bateau pneumatique avec 120 personnes à bord, au beau milieu de la Méditerranée, ça a été un vrai choc ».
Le plus terrible, explique Mary, sont les conditions dans lesquelles ces personnes sont retrouvées par les sauveteurs. « Vous vous retrouvez à être témoin des pires souffrances humaines. Tous ces regards, vides, désespérés, terrorisés restent imprimés dans mon esprit. La plupart de ces personnes ont été exploitées, torturées, elles ont vécu comme des animaux dans des conditions horribles, leurs corps et leurs esprits portent les traces de ces traumatismes ».
Mary se rappelle en particulier d’une jeune Somalienne de 18 ans, qui était enceinte lorsqu’elle a été secourue, mais qui était tellement affaiblie, tellement maigre, qu’elle a dû être évacuée vers Malte pour accoucher. « C’était une femme et elle avait mon âge. Sauf que nos vies étaient complètement différentes, opposées. J’étais celle qui l’aidait, pas celle qui était aidée, aussi j’ai essayé de me mettre mentalement à sa place. Si je m’étais retrouvée dans sa situation, qu’aurais-je fait ? Qu’aurais-je choisi de faire ? Aurais-je seulement survécu à tout ça? Nous ne devons jamais oublier que ce sont eux les plus forts, parce qu’ils ont réussi à arriver jusqu’ici. Les plus faibles ne survivraient même pas au désert. J’ai commencé à me poser toutes ces questions, en espérant que cela ne nous arriverait jamais ».
Après ces missions, Mary se retrouve face à un océan de questions. « Je suis reconnaissante envers les ONG d’être présentes ici en Méditerranée et de faire le travail qu’elles font. Mais cela ne devrait pas être le travail des ONG. Il en va de la responsabilité de l’Europe de répondre à cette crise. Je le vois en Grèce, je le vois aussi ici, la réponse européenne n’est pas adéquate. Si nous n’étions pas ici, est-ce que l’Europe ferait ce travail ? On ne sait pas. Et s’ils ne le faisaient pas, des milliers et des milliers de personnes mourraient et personne ne le saurait. Parce qu’ici, nous ne sommes pas que des sauveteurs, nous sommes des yeux et des voix, et nous voyons ce qui se passe ici et nous en témoignons. Et évidemment, les ONG ne peuvent pas laisser faire. Nous ne pouvons pas prendre le risque de ne pas être ici ».
Pour Mary, pas question que les ONG interrompent cette mission, tant qu’une réponse adéquate des autorités n’aura pas été trouvée et mise en œuvre. « Nous devons continuer notre travail de recherche et sauvetage, mais nous devons en même temps continuer de dénoncer le manque de réponse face à cette tragédie des morts en mer ! Aujourd’hui, nous sommes toujours là, plusieurs organisations ont été créées, la société civile nous soutient et nous finance grâce à des dons. Mais aujourd’hui encore, il n’y a toujours pas suffisamment de moyens de recherche et sauvetage en mer, pour empêcher les gens de se noyer, et l’Europe n’a toujours pris ses responsabilités face à cela».
Texte et interview : Sarah Hammerl & Natalia Lupi
Traduction et éditing : Mathilde Auvillain
Photo : Kenny Karpov