Pendant que vous lisez ces lignes
27 juillet 2016

Pendant que vous lisez ces lignes, un camion surchauffé traverse le Sahara, avec à son bord des dizaines de personnes : une famille fuyant la guerre au nord Mali, un couple et deux petites filles, les yeux ronds, qui semblent ne pas comprendre ce qui se passe. Deux sœurs cherchant à échapper à des mariages abusifs. Un jeune orphelin qui veut envoyer ses petits frères et sœurs à l’école, sans se rendre compte des obstacles qui se trouveront sur son chemin. Sur la plage ils rejoignent des dizaines d’hommes et de femmes fuyant le travail forcé en Libye par la seule voie qui leur reste, et trois frères, tous ayant moins de 13 ans, qui ont perdu la trace de leur mère suite à une explosion.

Pendant que vous lisez ces lignes, un bateau part des côtes libyens, un radeau gonflable surchargé dont le plancher grince sous le poids combiné de 120 hommes, femmes, garçons et filles.

Pendant que vous lisez ces lignes, un sauveteur de SOS MEDITERRANEE est en train de surveiller les eaux, suivant un petit point clignotant sur un radar. Ou de tendre la main aux rescapés qui montent d’un bateau de sauvetage. Ou de distribuer un repas chaud à plus de 200 personnes qui n’auront pas mangé depuis quatre jours. Ou de nettoyer et ravitailler le bateau au port, pour qu’il puisse venir au secours d’un autre groupe de personnes. Ou d’attendre une mer plus calme, en anticipant la vague des bateaux qui seront lancés dès le retour du calme. 

Ce ne sont pas des situations hypothétiques. C’est ce que nous avons vécu au cours des neuf dernières semaines sur l’Aquarius. Nous avons vu un radeau avec vingt-deux cadavres au fond, principalement des jeunes femmes, noyés quand le plancher en bois censé renforcer leur bateau s’est effondré. Nous avons vu un bateau avec de nombreuses jeunes familles, recueilli à onze heures du soir de leur seconde nuit d’errance. Lueur d’espoir, nous avons vu un enfant malade évacué en urgence vers un hôpital, et nous avons même vu un bébé naitre. Nous avons parlé longuement de l’avenir, des rêves, des possibilités d’étudier, de gagner honnêtement de l’argent, de choisir son métier, d’élever une famille et le plus souvent seulement de vivre en paix.

Plus de 2000 personnes avec les mêmes rêves que nous. Plus de 2000 personnes, en neuf semaines, ont monté la petite échelle et mis pied sur notre pont. Plus de 2000 hommes, femmes, papas, mamans, frères, sœurs, jeunes et moins jeunes. Plus de 2000 personnes désespérées. Plus de 2000 vies et autant d’avenir. Aidez-nous à continuer !

Par Ruby Pratka

Crédits Photos : Isabelle Serro