Marina, sage-femme de l’Aquarius, mobilise au Japon pour sauver des vies en Méditerranée
11 octobre 2017

Marina Kojima, sage-femme à bord de l’Aquarius l’hiver dernier, a organisé un crowdfunding à son retour au Japon. En 45 jours, elle a récolté 1.310.000 yens au profit de SOS MEDITERRANEE, soit l’équivalent de presque une journée de navigation de l’Aquarius. 

Son métier, c’est d’aider à donner la vie. Marina Kojima, est sage-femme. Pendant neuf semaines l’hiver dernier, son métier est aussi devenu celui de sauver des vies. Arrivée tout droit de Tokyo à Catane fin novembre 2016, elle a rejoint pendant trois rotations l’équipe médicale de Médecins Sans Frontières à bord de l’Aquarius. Neuf semaines, Noël et Nouvel An compris, de sauvetages incessants, qui resteront à jamais gravées dans sa mémoire.

« Mon pire souvenir à bord de l’Aquarius, c’est le mal de mer, quand le bateau retournait au port et qu’il se retrouvait pris dans la tempête et que des centaines de personnes vomissaient partout », raconte-t-elle pudiquement. Mais le souvenir le plus atroce, admet-elle ensuite, reste celui des récits des femmes secourues qui avaient été victimes de violences sexuelles barbares en Libye. A bord du bateau, la sage-femme de MSF a en effet aussi pour mission d’identifier les victimes de viols et d’abus sexuels afin de pouvoir les accompagner et les protéger.

Malgré des moments très durs, sa mission à bord de l’Aquarius reste une expérience humaine inoubliable. Et pour cause, c’est Marina qui a fait naître le petit Favour, le 11 décembre 2016. « J’avais un peu peur. Je ne connaissais rien de l’histoire de cette femme, je ne savais pas si elle avait déjà eu d’autres enfants, l’accouchement aurait pu se transformer en tragédie » explique la sage-femme. Elle, qui a fait naître « plus de mille » bébés dans le monde, du Japon au Pakistan, de l’Irak à la Syrie, du Liban au Soudan du Sud ; c’était la première fois qu’elle faisait un accouchement en pleine Méditerranée.  Finalement tout s’est bien passé, les cris du bébé qui ont résonné dans les coursives de l’Aquarius ont redonné du cœur à tout l’équipage, épuisé par les sauvetages à répétition dans le froid et sous une pluie battante.  

Quand la maman et le bébé ont débarqué à Catane, avec un certificat de naissance remis par le capitaine comme seul papier, Marina est allée retrouver la maman et le bébé à l’hôpital. « Je pense beaucoup à elle. Comment va-t-elle s’en sortir ici ? Elle débarque dans un pays qu’elle ne connaît pas, dont elle ne parle pas la langue, pour une mère célibataire c’est encore plus difficile » s’inquiétait la jeune sage-femme après avoir passé la porte de la maternité. Grâce au maillage associatif local, quelques semaines plus tard, l’équipage de l’Aquarius apprenait que Favour et sa maman avaient été accueillis dans une structure adéquate réservée aux femmes et jeunes mères isolées.  

« Sans SOS MEDITERRANEE il n’y aurait pas l’Aquarius en mer »

Lorsque Marina débarque de l’Aquarius en janvier 2017, elle tient à donner suite, à terre, à l’action nécessaire du sauvetage en mer. A peine revenue au Japon, elle commence par fabriquer un livre de naissance, comme ceux que les jeunes mamans confectionnent soigneusement pour leur enfant, qu’elle enverra à Cinsia, la maman de Favour ; puis elle se rend de salles de conférence en salles de classe, pour raconter encore et encore de ce dont elle venait d’être témoin en Méditerranée Centrale.  « Au Japon, personne ne sait vraiment ce qu’il se passe en Méditerranée, on en parle très peu. Une question revenait souvent chez les enfants : « mais pourquoi ces gens quittent leur maison ? ». Quant aux adultes, ils me demandaient comment aider les humanitaires qui sauvent des vies en mer ».

A peine le temps d’essayer de répondre toutes à ces questions, voilà que Marina, humanitaire dans l’âme, était déjà appelée pour une autre mission. Direction le Soudan du Sud. Là encore, à l’abri des tentes blanches de cette « Place of Civilians », Marina sensibilise tout son entourage à la situation en Méditerranée Centrale, racontant l’enfer vécu par les migrants en Libye et le drame des naufrages en mer. Pour tenir bon, face à un quotidien extrêmement difficile dans cette mission au Soudan du Sud, Marina emploie ses heures de pause à la rédaction d’un blog sur son expérience à bord de l’Aquarius.

De l’autre côté du globe, au Japon, ses récits sont de plus en plus suivis et incitent ses lecteurs à agir. Le succès du blog débouche alors sur une campagne de crowdfunding. Et Marina a déjà décidé : le bénéfice sera reversé à SOS MEDITERRANEE, « parce que sans SOS MEDITERRANEE il n’y aurait pas l’Aquarius en mer, c’est encore une petite ONG qui ne vit que des dons et qu’il faut aider » explique-t-elle. En 45 jours, Marina Kojima a réussi à dépasser son objectif, parvenant à mobiliser 112 donateurs et à récolter 1.310.000 yens (environ 10.000 euros) soit l’équivalent d’une journée de navigation de l’Aquarius en Méditerranée !

Dans quelques jours, Marina va refaire ses valises pour partir en mission au Bangladesh. Sa « campagne » japonaise de mobilisation citoyenne et de sensibilisation autour de la crise humanitaire en Méditerranée Centrale continue à travers son blog et qui sait… peut-être la reverra-t-on sur le quai du port de Catane, prête à embarquer pour aller sauver d’autres vies en mer.

Texte : Mathilde Auvillain

Photo : Anthony Jean / SOS MEDITERRANEE