Il s’appelle Wahid
16 mars 2017

Il foule de ses pieds nus le pont de l’Aquarius. Avec pour seul bagage, les souvenirs de sa famille qu’il a emporté avec lui. On lui a confisqué son passeport. On lui a volé sa dignité.  Réduit en esclavage, il ne lui reste rien hormis l’espoir d’une vie meilleur.

Lui, c’est Wahidour, surnommé Wahid pour les intimes.  Il a 17 ans. Des rêves pleins la tête. Mais le cœur déjà lourd. Il aimerait être assis sur les bancs de l’école dans  son village natal.  Au cœur de la vallée de Manipur, à l’est de l’Inde. Il aimerait prendre soin de son père malade. Jouer avec son petit frère de 10 ans son cadet. Embrasser sa mère et lui dire combien il aime. Rien de tout cela n’est possible aujourd’hui. Il a quitté sa rue,  sa vie, sa famille. Un voyage qui l’a conduit au cœur de l’enfer. Derrière les volets clos d’une maison en Libye. 

Tout commence un matin d’été. La nouvelle tombe, son père a le cœur fatigué. Wahid enchaîne les petits boulots pour subvenir aux besoins de ses proches.  Il a 12 ans et se tue à la tâche. Il soulève des pousses pousses pendant l’indéterminable saison des pluies, travaille comme concierge dans une école. Le revoilà sur les bancs, enfin presque !  Wahid n’est encore qu’un gamin quand il rencontre Panna, une professeur d’anglais. Pierre précieuse. C’est ainsi que se traduit le nom de celle qui lui enseignera le goût du voyage et de l’autre. Wahid se jette à corps perdu dans l’apprentissage de l’anglais.  C’est un gosse curieux au physique ordinaire mais à l’esprit vif. Son seul défaut, sa jeunesse. Sa naïveté le perdra.

Un ami lui fait miroiter une terre promise où tout est possible. « L’Eldorado »  répond au doux nom de Libye. Wahid se surprend à rêver d’une vie meilleure.  Sa décision est prise, il part. Reste à réunir les fonds suffisants. Tous ses voisins participent. Son voyage sera une entreprise collective mais son destin bien solitaire.

L’aventure commence pour le jeune homme de 17 ans. Il prend pour la première fois l’avion. A l’aéroport, il est conduit avec d’autres passagers dans une pièce sombre et isolée. Des hommes les attendent munis de pancartes. Pour Wahid ça sera le bus direction Al Zawiyah, une ville située dans le nord-ouest du pays, sur la côte méditerranéenne. C’est ici que le piège se referme.  Le gamin de Manipur démarre une nouvelle vie bien loin de celle qu’il lui avait été promise. Il découvre avec horreur la réalité de l’esclavage moderne avec toute sa violence. Wahid travaille 13h par jour, sans être payé. Ses tortionnaires le nourrissent à peine. Dans cette maison, il est réduit au silence, à l’état d’animal.  Mais il n’a plus rien à perdre, il n’est déjà plus personne. Alors il se plaint. « Où est mon argent ?  Où est mon passeport ? » La réponse est sans appel. Elle sent la poudre, un canon pointé sur sa tempe.

Il fuit, la peur au ventre.  Impossible de quitter la Libye par la route, il choisit la mer. Il est 10h30 quand Wahid s’écroule sur le pont de l’Aquarius. Une heure plus tard, le vent siffle aux oreilles des rescapés, les vagues se creusent, la mer devient capricieuse. Il a échappé au pire. Sans les sauveteurs de l’Aquarius, son canot pneumatique de fortune n’aurait jamais résisté.  Il s’appelle Wahid et il va vivre.

Par Perrine BAGLAN