De Marseille à Athènes, sur les routes d’Europe à vélo pour SOS MEDITERRANEE
8 décembre 2017

Deux jeunes bretons à l’enthousiasme contagieux, passionnés de sport et de vélos. Un projet un peu fou pour venir en aide aux personnes migrantes et réfugiées, une page Facebook aux vidéos irrésistibles. Voilà l’histoire d’Adrien et Pierre, à l’origine d’une belle initiative de soutien à SOS MEDITERRANEE.

Comme souvent, je suis affalé dans le canapé d’Adrien. Près de Bastille, il a une boîte à chaussures qui lui sert d’appartement. Ma bière à la main, j’attends mon assiette. Adrien et moi, on se connaît depuis la 6eme, et pendant ces 16 dernières années, on n’a jamais cessé de relever de nouveaux défis sportifs.

  • « Dis-moi, on fait quoi pendant ces trois mois ? »

Je marche vers sa carte du monde, découpée, recollée et mise à l’envers.

« Je n’y comprends rien à ta carte, tu ne veux pas, pour une fois, faire comme tout le monde ? »

  • « C’est une vue de l’esprit. Pourquoi le nord devrait être en haut et l’Europe toujours au centre des cartes ? »

Je ne réponds pas. Autant j’aime refaire le monde, autant pas ce soir.

  • « On va vers l’Est, on prend la route des migrants mais à l’envers, on part de Marseille et on suit la Méditerranée jusqu’en Grèce, avec le minimum et sans rien prévoir ! Et pourquoi pas en vélo ? J’ai le Motobécane de papi !»
  • « Et on peut se rendre utile en allant à la rencontre d’associations qui viennent en aide aux personnes migrantes. »

De Marseille à Athènes à vélo

7 septembre. Route des Crêtes, entre Cassis et La Ciotat. Sous un soleil de plomb, nous passons un coup de fil à l’association SOS MEDITERRANEE qui porte secours aux personnes migrantes et réfugiées qui se noient en Méditerranée centrale.

« On veut pédaler pour vous et collecter des fonds. Jérôme B., bénévole en Bretagne, nous a parlé de votre action. Ce mouvement citoyen nous a tout de suite séduit. On sent que l’originalité de notre projet peut être un moyen de collecter, sensibiliser et mobiliser autour de votre action. Votre navire est en Sicile ? C’est parfait car c’est sur notre chemin ! »

Grace à leurs précieux conseils, en quelques clics notre plateforme de collecte est lancée, notre page Facebook est créée.

Sospel. Alpes Maritimes. Nos deux bolides se reposent depuis plusieurs jours maintenant. Pas le temps de pédaler, il y a des oignons à couper. Couper, laver, cuisiner, transporter et distribuer de la nourriture aux personnes migrantes et réfugiées bloquées à Vintimille, c’est une des nobles missions que remplissent tous les jours Kesha Niya et Roya, citoyennes. Premier choc, première prise de conscience. Pierre pose une simple question à l’un deux :

  • « Ça s’est bien passé pour toi la traversée de la Libye ? »
  • « Comment peux-tu demander à une personne d’Afrique Noire si la traversée de la Libye s’est bien passée ? »

Plus jamais il ne posera cette question.

On les voulait, on les a eues. Tous les jours, tous les soirs, on s’amuse, on en abuse. Les plages italiennes défilent sur notre droite. Elles sont notre maison. La beauté des Cinq Terres nous laisse sans voix, ou presque : « Ok c’est paradisiaque, mais le sentier côtier chez nous entre Berthaume et Saint-Mathieu (Finistère Nord) se défend, et on n’a pas cette manie de privatiser nos plages nous au moins ! »

Pierre parle à son téléphone, il lui pose des questions.

  • « Ok Google, où est le palais de Jules César ? »

Son front se plisse. J’observe le va-et-vient de son regard entre son téléphone ultra-intelligent et les ruines.

  • « Bon bah c’est ce truc-là, ce tas de cailloux… »

Rome nous fait regretter notre manque d’assiduité en cours d’histoire, mais notre rencontre avec un Sénégalais nous fait vite oublier l’Empire romain.

  • « Comme tous mes frères que tu vois là, j’offre des bracelets aux touristes et en retour, j’espère une petite pièce, pas qu’un merci. Je dors dans les parcs ou chez des amis. La réponse à ma demande d’asile tarde à arriver. J’attends, je survis, dès fois j’envoie de l’argent au pays. C’est beau Paris ? J’ai hâte d’y aller, de quitter l’Italie. »

« Le défi est une réussite, nous sommes des cyclistes heureux et éreintés. »

Naples, Pompéi, Salerne. Les kilomètres défilent mais les donateurs se défilent. Comment sensibiliser les gens à cette crise migratoire dont les stigmates se font sentir partout sur notre route ? Comment mobiliser des citoyens rien qu’à travers notre page Facebook ? Nos vidéos font rire mais mobilisent peu. Nous prenons le pari qu’en une journée nous pouvons pédaler autant de kilomètres que d’euros récoltés en un weekend. L’effet est immédiat. 410 euros récoltés, 205 kilomètres pédalés chacun. Le défi est une réussite, nous sommes des cyclistes heureux et éreintés.

En chemin pour la Sicile, nous traversons la Calabre avec le sourire. Notre sourire contraste avec le visage fermé des personnes migrantes et réfugiées que nous croisons sur le bord de la route. Ils se déplacent à vélo de ferme en ferme pour un potentiel travail précaire et illégal.

Sicile : une rencontre déterminante avec l’équipage de l’Aquarius

L’Aquarius se fait remarquer dans le port de Messine. Il est là, beau, élégant. Le contraste avec le ferry de croisière derrière lui est déroutant. A son bord 110 rescapés attendent de toucher le sol européen. Les blessés, les femmes et les enfants d’abord. Je croise le regard de Pierre. Nous n’avons pas besoin de parler. Il a les yeux humides, les miens doivent être pires. J’ai le cœur serré et l’estomac noué, je n’ose imaginer les siens. Le soir, les équipes de SOS MEDITERRANEE et de Médecins Sans Frontière s’offrent un moment de détente après trois semaines passées en mer.  Tous montrent un grand intérêt pour notre initiative et nous félicitent pour notre action. Nous avons l’agréable sensation de faire partie de l’aventure SOS MEDITERRANEE. Au même titre qu’un sauveteur, nous apportons notre petite pierre à ce mouvement citoyen exceptionnel qui dure depuis plus de deux ans.

Train + ferry = le combo gagnant pour atteindre la Croatie. Le merveilleux accueil des équipes de SOS MEDITERRANEE, leur engouement pour notre initiative et notre prise de conscience de l’horrible condition des personnes migrantes et réfugiées en Libye nous motivent plus que jamais à collecter des fonds pour cette association.

1000 kilomètres nous séparent de notre objectif final : Athènes, ville très touchée par l’arrivée massive de personnes migrantes, principalement du Moyen-Orient. Nous n’y arriverons uniquement que si nous amassons 1000 euros supplémentaires. Nouveau défi lancé : 1 euro = 1 kilomètre !

  • « Adrien, il y a deux chiens qui sautent sur la tente ! Ils veulent jouer avec nous. »
  • « Ils sont sérieux ?! La plage est immense et il faut qu’ils nous embêtent quand on veut dormir ! »

Au début c’est drôle, après deux heures de cache-cache avec des chiens qui nous suivent à la trace, ça l’est moins… Au Monténégro, impossible donc de dormir sur la plage !

Les multiples visages de la migration

Des montagnes au Nord, de belles plages au Sud. L’Albanie est magnifique, chaleureuse, simple, hospitalière et vierge d’un tourisme abusif. Il nous est très difficile de comprendre pourquoi les Albanais ont si mauvaise réputation. Seraient-ils des réfugiés stigmatisés à tort ? Alors que nous traversons la frontière grecque en un coup de pédale, trois Albanais la passent par les montagnes pour la saison des clémentines. Ils sont payés 25 euros par jour, quand il ne pleut pas et quand le patron le décide. Nous passons une nuit dans leur squat, sans eau, sans électricité, sans argent. Le toit laisse passer les gouttes de pluie, leurs regards se posent sur nous avec un brin de désespoir. Nous ne regarderons plus jamais les clémentines grecques vendues dans nos supermarchés de la même manière.

Le compteur kilométrique se porte bien, l’aventure touche à sa fin. Nous essuyons plusieurs jours de pluie et évitons moult morsures de chien avant d’atteindre Athènes.

Athènes, 24 novembre.  Elle grouille, elle suffoque. La roue de Pierre a 8 rayons en moins mais roule encore ! Iasonas, un sauveteur volontaire grec de SOS MEDITERRANEE rencontré en Sicile, nous attend de pied ferme à City Plaza. Cet ancien hôtel abandonné après la crise est maintenant occupé par 400 réfugiés dont 150 enfants. Ce beau mélange de cultures cohabite en paix et fait fonctionner cette micro-société. A City Plaza, la solidarité vaincra, car à City Plaza elle n’a pas de frontière. Pouvons-nous espérer un jour étendre ce mode de fonctionnement à l’échelle mondiale ?

Une expérience inoubliable

79 jours de vélo, 3 500 km parcourus et 2300 euros collectés pour SOS MEDITERRANEE : ce projet est une belle réussite ! Sospel, Rome, La Calabre, La Sicile, l’Albanie, Athènes : autant d’endroits stratégiques où la rencontre avec des associations et des personnes migrantes nous a ouvert les yeux sur la crise humanitaire qui se joue en Europe mais aussi à ses portes, en Méditerranée. Notre indignation n’a fait que s’accentuer pendant ces trois mois mais il subsiste un espoir : beaucoup d’initiatives citoyennes voient le jour partout en Europe pour essayer de changer les choses, comme celle de SOS MEDITERRANEE. L’action de cette association, tant admirable qu’indispensable, doit être maintenue.

Texte : Adrien Lagadec – Pierre Corboliou

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