Carnets d’Hippolyte, BD reporter à bord de l’Ocean Viking, épisode 19 – Le secours, avant tout

29 juillet 

Une ville émerge des collines. Dense, surréaliste, compacte, débordant de maisons et d’immeubles entassés les uns sur les autres. Après trois heures de désert, elle nous apparait démesurée dans son entassement de constructions, presque incompréhensible. Mais ce n’est pas un mirage. Agrigento est la première ville que nous croisons, la dernière avant notre destination : Porto Empedocle. 

La mer apparait furtivement entre deux immeubles délabrés. La lumière du soleil se reflète sur l’eau, traversée par un bande sombre. Le Port. L’Ocean Viking. Et le Sea Watch 3, le bateau de secours de l’ONG allemande, également bloqué à quai. Au bout de nulle part. 

Nous croisons des bus de la Guardia di Finanza en descendant le labyrinthe de ruelles vers la mer. Une fête foraine de quartier vide se tient à notre droite : pieuvre articulée, auto tamponneuse, manèges hors du temps, vides de tous clients. 

Une grande tente se trouve à notre gauche. Derrière des grilles, des camions de la Guardia di Finanza, des voitures de police, un bus de la Croix Rouge italienne, garés à l’intérieur, entourant ce grand baraquement improvisé. « C’est ici qu’ils retiennent les migrants, il y en a au moins 500. » 

Nous sommes surpris. Montée de chaleur dans notre voiture climatisée. 

Beaucoup de mouvements : des myriades d’ombres se déplacent difficilement, surveillées par des hommes en uniformes et solides sur leurs jambes. 

Entre les manèges et le camp de rétention, la porte d’entrée du port. 

La guérite d’entrée est vide, pas de contrôle. Même si nos papiers sont en règle, nous sommes prêts à toutes surprises. Le quai est désert d’individus et de voitures. Le long des grilles du camp, une frêle barrière nous sépare d’un accès à L’Ocean Viking. La voiture est à l’arrêt. Comme les deux bateaux de secours et les migrants, simplement séparés d’une bande de béton d’une trentaine de mètres. Surréaliste. 

Une ombre apparait de l’autre côté de cette frontière. « Is it Baptiste? » T-shirt SOS MEDITERRANEE, casque audio sur les oreilles et bottes de marin. 

Arrivé depuis deux jours, il est heureux de retrouver Julia et Mat’ qu’il connait déjà. Je mets vingt minutes à comprendre qu’il n’est pas anglais, tellement son accent est parfait. Engagé depuis 2016 avec SOS MEDITERRANEE sur l’Aquarius puis l’Ocean Viking, Baptiste est entre temps passé par une mission en Géorgie du Sud, sur une base scientifique à conduire des rafts au milieu des orques et des manchots, durant 14 mois. Une vie de marin consommée à seulement 26 ans. Avec pour reflet dans son regard bleu, l’humanité comme horizon de voyage. 

Il a une nouvelle. Une bonne nouvelle. Le bateau est bloqué à quai par une pirouette des autorités italiennes qui accusent d’avoir transporté trop de « passagers », quand celui-ci portait secours à 180 rescapés. Mais SOS MEDITERRANEE peut sortir un As de sa manche : L’Ocean Viking est historiquement un navire de secours. C’est depuis toujours le mandat de l’ONG : « Search and Rescue », chercher et secourir, ça l’est historiquement aussi pour le navire, parfaitement équipé pour cela, pour 240 personnes.  

Les italiens réclament des sièges pour les 240 passagers ? Ils seront livrés ce vendredi. Pour le reste, tout l’équipement de l’Ocean Viking, amélioré par la présence de Médecins Sans Frontières durant 2 ans, aura fait de ce navire un modèle de bateau de secours. 

« Nous avons toujours été irréprochables. Nous allons être plus irréprochables qu’irréprochables. » 

Le quai est immense. Seuls deux bateaux sont présents. L’Ocean Viking et le Sea Watch 3. Nous sommes surpris par la petite taille de ce dernier. On peine à imaginer qu’il puisse accueillir 100 personnes à son bord.

En comparaison, l’Ocean Viking est une machine de secours de compétition : rutilante, majestueuse où tout semble à sa place, organisée méticuleusement, parfaitement calibrée pour subvenir à tout obstacle en mer. Et loin d’abandonner face aux mauvaises surprises à terre.