Il est près de 14 heures ce vendredi 13 mai quand l’Aquarius s’approche du petit port de Crotone en Calabre, où le Centre des Secours Maritimes de Rome nous a demandé de débarquer les rescapés secourus le 11 mai. Cela fait déjà plusieurs heures que la côte calabraise se déroule, comme une terre promise, devant les yeux émus et interrogateurs de ceux qui ont échappé au calvaire libyen. Ils n’ont aucune idée de ce qui les attend à terre, mais tous les espoirs de vie meilleure qu’ils avaient attachés à la Libye avant qu’elle ne se transforme en piège, se sont transférés sur cette Italie qui est à l’avant-poste pour les accueillir. De janvier au 10 mai 2016, elle a déjà accueilli 31250 migrants fuyant surtout l’enfer libyen, victimes innombrables d’un trafic humain lucratif.
Sur le quai, le « comité d’accueil » est presque toujours le même à chaque débarquement : représentants du ministère de la santé, du ministère de l’intérieur, des garde-côtes, de Frontex, de la Croix Rouge italienne, de l’ONG Save the Children qui assiste les mineurs, et surtout de l’organisation catholique « Misericordia », qui dans cette partie de l’Italie, prend notamment en charge le centre de réception pour les demandeurs d’asile de Rosarno, financé par le ministère de l’intérieur. La police et la gendarmerie sont elles aussi bien présentes. Parmi les migrants débarqués, seuls ceux qui ont besoin d’un suivi ou d’un traitement médical (notamment pour les cas suspectés de gale) seront envoyés dans ce centre situé à une vingtaine de minutes du port. Les autres, emmenés en bus une fois le contrôle médical et l’enregistrement terminés, seront aussitôt distribués aux quatre coins de l’Italie, et jusqu’en Lombardie tout au nord du pays. Les mineurs, qui sont les derniers à débarquer, sont emmenés dans un centre spécial pour mineurs non accompagnés. Lors de ce dernier sauvetage, ils étaient à bord de l’Aquarius quarante-sept de 13 à 17 ans, dont une douzaine de garçons de 13 ans. Les quatre autres étaient des enfants de moins de cinq ans accompagnés d’au moins leur mère.
Le débarquement des 233 rescapés qui s’étale sur deux heures, se déroule dans le calme. Les migrants attendent patiemment les instructions de l’équipe MSF et des sauveteurs qui les font descendre par petits groupes à la demande des autorités sanitaires qui se tiennent en première ligne. Un adolescent de 14 ans blessé au pied et porté sur une civière, ainsi qu’un homme porteur d’une prothèse sont les premiers à être emmenés. Le petit Fajalla et sa maman, à peine sortis, sont ramenés sur le bateau pour attendre qu’on ait retrouvé le père, descendu plus tôt avec un groupe d’hommes. Il est retrouvé par la Croix Rouge et la famille réunie.
Le défilé continue lentement, les rescapés tapent dans les mains des sauveteurs avant de poser le pied sur la terre ferme. « Bon voyage, bon courage », leur lance le Dr. Erna, médecin de MSF. « Bravo SOS Méditerranée, on est très fiers de vous, votre travail est très bénéfique » lance un jeune ivoirien, diplômé en économie et finances, qui s’est retrouvé esclave en Libye pour avoir voulu y travailler et soutenir ses neveux orphelins de père. « Je ne sais pas ce qui nous attend maintenant, mais mon plus grand espoir est de pouvoir étudier et continuer ma formation en banque pour aider ma famille. »
Quand le dernier bus les emmène, certains lancent de grands sourires et agitent leurs mains pour nous dire un chaleureux au revoir…
Nagham Awada
Crédits Photo : Giorgos Moutafis