Les sauvetages se suivent mais ne se ressemblent jamais. A chacun sa particularité. Ce 5 août, l’Aquarius vient d’effectuer son 23ème sauvetage. Fait assez inhabituel, les rescapés sont au nombre de 75 dans un canot gonflable d’à peu près 12 mètres. D’habitude, ils sont entassés au point que certains sont obligés de rester debout pendant toute la traversée. Quand nos canots s’approchent, l’ambiance est lourde, tout le monde est silencieux, les visages sont fermés. Plusieurs hommes sont assis sur les boudins de caoutchouc, les jambes tendues vers l’extérieur. Nos sauveteurs craignent d’abord le pire, mais le médecin de MSF inspecte le canot et fait vite le constat que tout le monde est sain et sauf à bord. Plus tard, les rescapés nous disent qu’ils n’étaient pas plus nombreux en partant de Libye, ce qui nous rassure.
L’immense majorité vient du Nigéria, où la violence armée, les enlèvements et la misère qui sévissent dans certaines régions poussent de plus en plus de personnes vers l’exil. Chacun son histoire, chacun sa raison de partir. Parmi les sept femmes rescapées, il y a S., 29 ans, de père Libyen et de mère marocaine. Elle est divorcée, sans enfant, et a presque perdu tout contact avec ses parents, séparés. En Libye, elle devait travailler comme serveuse et femme de ménage pour subvenir à ses besoins. Mais une femme divorcée et seule y est mal vue. Elle redoutait de plus en plus le harcèlement et a préféré prendre le risque de partir par la mer pour « ne plus avoir peur, et vivre dans un endroit sûr ».
Parmi les hommes, une quinzaine vient du Maroc et de Libye. Les derniers bombardements survenus ont encore aggravé la situation et poussé vers la mer toujours plus de candidats à l’exil. H., marocain, vivait en Libye depuis quatre ans. Il était cuisinier et travaillait entre Benghazi, Al Bayda et Tripoli. Entre les bombardements à Benghazi, les attentats et enlèvements à Tripoli, et son salaire qui n’était plus payé, il n’a eu le choix que de partir. « Je serais resté si j’étais encore payé. »
Raj, ghanéen, avoue qu’il ne serait pas parti de Libye si la situation y était vivable. « J’y ai travaillé pendant six mois, j’y nettoyais les rues et les voitures. Même quand nous étions payés, on nous manipulait en nous menaçant avec des armes. Ils envoyaient des complices nous arrêter. Dans le canot, beaucoup de gens pleuraient, et cela m’attristait beaucoup de voir qu’il y avait parmi nous un petit enfant. Moi je n’avais pas peur, la mort n’arrive qu’une fois ! Je n’avais pas peur parce que je sais ce que je cherche : une vie meilleure ».
par Nagham AWADA
Crédits photo : Isabelle Serro