112 personnes secourues dans l’obscurité, sous une pluie battante
23 décembre 2016

Pendant que nous mettions les gaz, cap au sud-est, la tempête se leva à nouveau. Les vagues se creusèrent et la houle se renforça. A ce moment-là, nous savions que trois canots pneumatiques se trouvaient en détresse face aux côtes libyennes. Il faudrait environ huit heures pour que l’Aquarius les rejoigne. Ce qui, d’après nous était faisable. 

“Dernières informations” annonce Yohann, notre coordinateur à bord. « Deux des canots ont déjà été secourus par des bateaux de la Marine qui se trouvaient dans les parages. Mais reste encore à trouver le troisième. Nous serons sur zone dans trois heures. » 

Deux heures plus tard, nous étions parvenus à localiser le canot pneumatique blanc. En moins de dix minutes toute l’équipe de recherche et sauvetage était prête et le canot de sauvetage n°1 était mis à l’eau. La mer était trop agitée pour le canot n°2, plus petit. On se contentera d’un seul canot pour effectuer le sauvetage. 

C’est à l’aide de nos puissants projecteurs que nous apercevons le canot blanc, plein à ras bord, alors que c’est déjà l’obscurité totale à 17h30. Pour ne rien gâcher, il se met à pleuvoir des cordes. Soudain, le canot blanc se trouve tout près de l’Aquarius. Avec plus d’une centaines de personnes à bord, des femmes, des enfants et des hommes.  

L’équipe, comme à son habitude, distribue des gilets de sauvetage aux rescapés. Cela prend du temps mais c’est une étape vitale lors d’un sauvetage. Vingt minutes après, tout le monde à bord du canot pneumatique a son gilet de sauvetage. La première navette transfère alors 18 femmes et 2 enfants sur l’Aquarius.  

Les femmes sont épuisées. Certaines tombent à genoux et lèvent les mains au ciel pour prier. D’autres ne tiennent pratiquement plus debout et tombent dans les bras des sauveteurs à bord. Tous sont atteints de tremblements et sont imprégnés de diesel. 

Il arrive fréquemment que les jerrycans de carburant, en général du diesel, fuient ou se renversent ; le diesel se mélange alors à l’eau dans le canot pneumatique. C’est extrêmement dangereux pour la peau. Chaque rescapé pourra prendre une douche chaude avec du savon après le sauvetage. Alors que les femmes et les enfants peuvent s’abriter à l’intérieur de l’Aquarius, les hommes eux prennent une douche sur le pont, à l’extérieur. Ils y passeront la nuit. 

En moins de deux heures, les 112 personnes du canot pneumatiques se trouvent en sécurité à bord de l’Aquarius. MSF, notre partenaire médical prend soin d’eux, heureusement il n’y a aucun cas grave cette fois-ci. Tout le monde est épuisé et frigorifié. Des femmes nous confient qu’elles ont passé plus d’une journée sur ce petit canot. 

La plupart des rescapés viennent du Sénégal et de la Côte d’Ivoire. D’autres du Mali, du Nigeria, de la Gambie et du Cameroun. Au total nous avons sauvé la vie de 25 femmes et de 87 hommes, provenant de 8 pays différents. 32 garçons et filles sont mineurs, le plus jeune a entre 1et 4 ans. Nous constatons à nouveau qu’un grand nombre de mineurs sont non accompagnés, nous en comptons 24, et 23 femmes seules. 

Trois quarts d’heure à peine après cette opération réussie, on nous demande de transborder sur l’Aquarius, 215 personnes secourues par le Navarra, bateau de la Marine espagnole. Nous n’avons que quelques minutes pour nous mettre quelque chose sous la dent. Comme le canot de sauvetage du bateau espagnol est endommagé il nous faut à nouveau utiliser notre propre canot pour effectuer le transfert. 

Mais nous devons renoncer au transbordement depuis le bateau de guerre, malgré plusieurs tentatives car la houle est trop forte et les vagues menaçantes. Cette opération est trop risquée et notre équipe de sauveteurs fait demi-tour au bout d’une demi-heure. 

Il est maintenant 22h et tout le monde est fatigué. Nous poursuivons notre recherche pendant la nuit, car des rescapés nous ont dit qu’au total six canots pneumatiques avaient pris la mer le jour précédent. Nous poursuivons nos recherches dans la zone de sauvetage orientale, face à la Lybie. 
 

Par René Schulthoff

Crédits photos : Kevin Mcelvaney

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