Le 7 octobre dernier, au large de l’Espagne, le skippeur Thibault Vauchel-Camus, membre du comité de soutien de SOS MEDITERRANEE et six fois champion de France en F18, a porté secours à 17 personnes en détresse – dont une déjà décédée. Il a pu constater la violence de l’indifférence qui entoure le drame des naufrages de personnes en migration en mer : « dans ce grand carrefour de trafic maritime, il est impensable de croire que des bateaux ne les aient pas vues pendant les cinq jours qu’a duré leur dérive. » Voici son récit.
Avec une partie de mon équipe sur le Trimaran, Laurent et Paul, on rentrait de la Med Max où on était arrivé à Saïdia, au Maroc, en direction de Sainte-Maxime en France pour la prochaine course. Au petit matin, Laurent, qui est à la barre, se rend compte qu’il y a un une embarcation qui ne ressemble pas au type de bateaux qu’on croise habituellement à l’endroit où nous sommes. Il saisit les jumelles pour vérifier ce que c’est. Et là, il se rend compte que ce sont des naufragé.e.s. On voit apparaître un groupe d’une quinzaine de personnes au loin qui agitent les bras pour attirer notre attention.
Notre premier réflexe est donc de les rassurer et de leur dire qu’on va rester à proximité et les accompagner jusqu’à leur mise en sécurité. On appelle le MRCC [centre de secours maritime] pour prévenir qu’il y a des personnes en difficulté. Et une fois que nous avons réussi à les rassurer, très rapidement, on leur fournit de l’eau et des aliments, parce que dans la discussion, on s’est aperçu que ça faisait cinq jours que leur embarcation était à la dérive, et qu’elle n’était pas du tout adaptée [à la navigation en haute mer]. Mais ce qui est le plus troublant, alarmant et rageant, c’est que l’endroit où nous l’avons croisée se situe dans un grand carrefour de trafic maritime, où nous devons nous-mêmes faire attention à ne pas entrer en collision avec des cargos. Il est donc impensable de croire que des bateaux ne les aient pas vu.e.s pendant les cinq jours qu’a duré leur dérive. C’est donc extrêmement choquant.
On reste donc sur zone, à portée de voix. On s’assure que les personnes naufragées n’ont besoin de rien, et nous attendons les secours. Deux heures après l’alerte, un canot de sauvetage espagnol arrive sur zone pour récupérer ces rescapé.e.s et récupérer le corps de ce jeune homme inanimé. Apparemment, il était diabétique.
Quand on me demande pourquoi mon équipage et moi leur avons porté secours, je réponds que c’est une question qui ne se pose même pas. Déjà, c’est dans les textes, c’est une obligation légale de porter assistance à des personnes en difficulté. Mais quand on parle de de vies humaines, moralement, c’est inenvisageable de ne rien faire ou de ne rien tenter pour les sauver.
On n’a pas toujours la capacité d’aider autant qu’on le voudrait, mais si on ne tente rien, une chose est sûre, on n’arrivera à aucun résultat. C’est une obligation légale et morale. Si on inverse la situation et que c’est moi qui suis en difficulté, quel serait mon sentiment si je voyais des personnes passer à proximité sans même porter un regard ou tenter de faire quelque chose ? La raison première, c’est donc d’apporter aux autres ce qu’on voudrait qu’on nous apporte à nous-même. Une évidence en somme.
Et puis on sait qu’en mer, l’isolement est tel qu’on ne peut que compter sur les personnes qui nous entourent, qu’il s’agisse de plaisanciers, de vaisseaux de la marine marchande ou de pêcheurs… Comme les secours sont généralement à terre, les marins doivent s’entraider en mer.
Engagé avec SOS MEDITERRANEE depuis 10 ans
C’est par le biais d’une amie et de différents documentaires que j’ai pu me rendre compte, non pas du paradoxe, mais bien du côté inadmissible de cette situation où des vies humaines sont en danger. On parle de personnes naufragées, on doit les considérer comme telle et faire en sorte qu’elle deviennent rescapées et non pas disparues.
Et quand on voit les chiffres qui concernent les sauvetages – ou les non-sauvetages d’ailleurs -, qu’on constate l’indifférence dans laquelle des personnes disparaissent en mer, c’est inimaginable, et ça ne colle pas du tout avec ce qu’est censé être la solidarité humaine.
Je suis membre du comité de soutien de SOS MEDITERRANEE mais je n’imaginais pas un jour être au cœur d’une telle situation avec mon équipe, mes amis. Ça ne fait que renforcer la conviction qu’il faut continuer à travailler et à soutenir cette association de sauvetage.
Photos et vidéo : Thomas Vauchel-Camus