«Certains tentèrent de sauter à l’eau» ou Comment la peur des garde-côtes libyens complique les sauvetages
5 mai 2018

Thomas est l’un des 164 rescapés du canot pneumatique secouru le 18 avril dernier. « La première fois que nous avons pris la mer, certains y ont trouvé la mort » dit ce jeune Nigérian de 20 ans. L’été précédent, Thomas avait fait une première tentative pour traverser la Méditerranée afin de gagner l’Italie. Cela s’était mal terminé.

« Les garde-côtes libyens se sont mis à nous pourchasser » poursuit-il. « Certains ont tenté de sauter à l’eau et se sont noyés, dans une indifférence totale. Tout ce que veulent les garde-côtes libyens, c’est nous ramener en Libye. »

Maintenant en sécurité à bord de l’Aquarius, le navire de sauvetage affrété par SOS MEDITERRANEE et opéré en partenariat avec Médecins Sans Frontières, Thomas a le temps de réfléchir à ce qu’il vient d’endurer.

Les 163 autres rescapés du canot pneumatique secouru le 18 avril connaissent bien cette situation. Bon nombre d’entre eux ont déjà été rattrapés quatre ou cinq fois par les garde-côtes libyens. Quant à Thomas, il a passé au total deux ans dans l’enfer libyen.

« Ils nous ont ramenés en Libye et on s’est tous retrouvés en prison. Parfois ils venaient nous chercher pour nous faire travailler. Il arrivait qu’ils nous vendent à des fermiers. Certaines filles étaient vendues pour être prostituées. »

Des pièges mortels

La frêle embarcation de Thomas a été secourue à 30 milles nautiques de la côte de Tripoli. Elle n’avait aucune chance d’arriver en Europe, sa destination finale.

« Ce type de canot pneumatique est couramment utilisé en ce moment », précise Tanguy, marin-sauveteur qui a ramené Thomas à bord de l’Aquarius dans son canot de sauvetage. « Ce sont de véritables pièges mortels. Un minuscule trou dans le caoutchouc et tout le monde se retrouve à l’eau. »

Actuellement les deux tiers des embarcations secourues sont de ce type. Il n’est donc pas surprenant qu’en 2017, le nombre de personnes ayant péri en mer pendant la traversée s’élève à 2853, d’après l’OIM (Organisation Internationale pour les Migrations). Ce chiffre ne comprend pas bien évidemment ceux qui se sont noyés sans témoin.

Mais un autre événement rend cette traversée encore plus périlleuse : le nombre croissant d’interceptions par les garde-côtes libyens. Une semaine à peine après que Thomas ait été secouru, nos confrères humanitaires de Sea Watch ont été témoins d’une intervention des garde-côtes libyens. Leur arrivée a provoqué un mouvement de panique parmi les passagers d’une embarcation en détresse et des dizaines de personnes se sont jetées à l’eau.

“C’est fini le cauchemar !”

« Lorsque nous étions en mer, nous avons aperçu un grand bateau au loin : nous avons cru que c’était les Libyens », poursuit Thomas. « On était tous paniqués. Car nous savions ce que cela signifiait. Nous nous sommes mis à prier. Et le bateau continuait d’approcher… ».

Ce n’est que lorsqu’ils furent assez proches pour distinguer l’équipage à bord que la situation évolua. « A ce moment-là, j’ai vu leur visage et j’ai compris que ce n’était pas des Libyens. J’ai alors dit : ils viennent nous secourir. Merci seigneur après toutes ces années, toutes ces souffrances, c’est fini le cauchemar ! Je me suis mis à pleurer de joie. Tout le monde était heureux. Le moral était revenu. Nous remercions Dieu d’être aujourd’hui en sécurité. »

Photos : Anthony Jean / SOS MEDITERRANEE