En décembre 2018, les marins-sauveteurs de SOS MEDITERRANEE ont eu pour triste mission le démantèlement de l’Aquarius. Ceux qui y avaient vécu des moments d’une rare intensité étaient, à cet instant, dans la plus grande incertitude quant à la reprise des opérations de sauvetage en mer Méditerranée, alors que les naufrages tragiques s’y poursuivaient sans témoins. L’entrée au patrimoine national de certaines pièces collectées sur le bateau par le Musée national de l’histoire de l’immigration (MNHI) au même moment leur aura mis un peu de baume au cœur. Le musée consacre une vitrine à SOS MEDITERRANEE au sein de la galerie des dons, en présentant quelques-unes de ces pièces, visibles jusqu’au 12 janvier.
« C’est de cela dont nous devrons nous rappeler dans 100 ans, dans 200 ans… »
« Etrange sentiment de déjà-vu, où le conservateur tient de l’huissier de justice et du fossoyeur, celui qui enlève du cours normal des choses certains éléments de valeur pour assurer leur préservation. Dévitaliser pour sacraliser. Ce n’est, heureusement, qu’une partie de l’équation. Préserver c’est témoigner, protéger au patrimoine national c’est assurer l’impossibilité d’oblitérer cette partie du passé. Cela ne sauve pas des vies, mais cela participe à forger des consciences. » Tel est le sentiment d’Elisabeth Jolys-Shimells, conservatrice du patrimoine et responsable de la collection de société au MNHI à Paris qui est venue elle-même collecter ces pièces à Marseille.
Un casque de marin-sauveteur marqué « Peace and Log », deux gilets de sauvetage, des bouts d’un bateau pneumatique sur lequel s’entassaient des dizaines de naufragés, des dessins de rescapés…. Parmi la soixantaine de pièces remises à Elisabeth, plusieurs portent une valeur symbolique très forte . « Une lettre d’amour, écrite par un Erythréen, oubliée à bord après un débarquement, a été conservée précieusement par un sauveteur qui l’a ajoutée au don, après nous avoir recommandé plusieurs fois d’y porter la plus grande attention. » Pour la conservatrice, ces morceaux d‘histoire serviront aussi à passer un message :
« ceux que nous appelons aujourd’hui ‘les migrants’ sont des êtres humains, comme nous, et pas seulement des chiffres : c’est bien de cela dont nous devrons nous rappeler dans 100 ans, dans 200 ans… » Car l’objectif même du musée est de « changer les regards » sur l’immigration.
Mais le « trésor » que la conservatrice expose avec le plus de fierté dans la Galerie des dons est ce pavillon panaméen fabriqué à la main sur le bateau, qui raconte à lui seul un pan entier de l’histoire des migrations en Méditerranée. En ce mois d’août 2018, alors que l’Aquarius a perdu son pavillon de Gibraltar sous les pressions politiques, à quelques heures d’accoster, l’armateur réussit à faire inscrire le bateau au registre maritime du Panama sous le nom d’Aquarius II. Bien sûr, on ne dispose pas de ce pavillon à bord. Alors les marins-sauveteurs découpent des bouts d’autres pavillons, recousent le tout et dessinent les étoiles au feutre.
Une entrée remarquée au patrimoine national… et dans le programme scolaire !
Tous ces objets sont aujourd’hui entrés dans les collections nationales, et si tous ne sont pas exposés actuellement, Elisabeth insiste sur l’importance de conserver la mémoire de ladite « crise migratoire » et de la faire entrer dans l’histoire avec un grand H. Selon elle, « la diversité de ces objets permet de rendre compte de cette période, et raconte à la fois la position des Etats européens, de la société civile, mais aussi l’action des ONG de sauvetage européennes et le parcours individuel de ces milliers de personnes qui ont voulu traverser la Méditerranée… » Ces « documents, parfois bouleversants, à l’image de ce dessin de la vie quotidienne dans un camp de détention en Libye fait par un rescapé, [assez explicite quant à la torture et aux violences qui y ont été commises], doivent être des témoins pour les générations à venir ».
Parmi le public, les questions sont nombreuses. « L’intérêt pour les questions contemporaines est souvent marqué. Les gens veulent comprendre… » Dans sa mission de pédagogie, le MNHI a déjà formé plusieurs enseignants à la transmission des savoirs sur les thématiques liées à l’histoire de l’immigration, y compris la crise en Méditerranée où l’Aquarius joue un rôle prépondérant. Une manière parallèle sans doute de mener à bien la mission de sensibilisation scolaire que porte aussi SOS MEDITERRANEE dans les écoles.
Et pendant ce temps en Méditerranée centrale, des milliers de personnes continuent de tenter une traversée périlleuse dont tous ne sortiront pas vivants, et écrivent à leur tour une autre page de l’histoire de l’immigration. L’Ocean Viking, le nouveau navire affrété par SOS MEDITERRANEE qui a succédé à l’Aquarius, poursuit quant à lui sa mission de sauvetage sans relâche pour les secourir.
Hâtez-vous : la galerie est visible jusqu’au 12 janvier !
Vitrine consacrée à SOS MEDITERRANEE dans la Galerie des dons du Musée national de l’histoire de l’immigration (Paris) jusqu’au 12 janvier 2020.
Toutes les informations sur https://www.histoire-immigration.fr/
Photos :
Vitrine consacrée à l’Aquarius dans la Galerie des dons, 2019 © Anne Volery-MNHI
Pavillon panaméen cousu à bord de l’Aquarius, 2018 ; © MNHI