« Je suis à côté des sans visages »
Bénévole à terre comme en mer, Marie Rajablat exerce le métier d’infirmière en secteur psychiatrique. En 2017 et 2018, elle est montée à bord de l’Aquarius pour recueillir les témoignages des rescapés et les accompagner, le temps d’une traversée. Elle en a tiré un ouvrage, “Les Naufragés de l’enfer”, dont une seconde édition sera publiée prochainement. Elle répondait à [3 questions] sur cette expérience unique, le 8 juin dernier à Marseille.
« Dans ce type de rencontre, on ne triche pas »
On me demande souvent comment je me suis retrouvée dans cette nouvelle galère (les autres étant d’autres missions humanitaires). Le plus simplement du monde, sans doute du fait de mon histoire nomade. Depuis que je suis en âge de travailler et peut-être même un peu avant, j’ai trouvé ma place aux côtés des sans visage, des sans terre et des sans droit, sur des îlots battus par les vents du grand renfermement, de l’isolement, du tout sécuritaire. J’approche et accompagne les rescapés comme j’aborde les personnes qui souffrent de troubles psychiques ou celles qui vivent à la rue. Avec ces personnes, dans ces types de rencontres, on ne triche pas. On va droit à l’essence même de l’être.
Avec tous mes collègues sauveteurs, psy de tout poil et maraudeurs, nous sommes les dernières digues contre lesquelles s’écrasent les déferlantes administratives, politiques, sociales, etc. Et pour protéger notre humanité, la leur comme la nôtre, nous n’avons pas d’autres choix que de construire des îlots éphémères où se mettre à l’abri et se ressourcer, des asiles (au sens noble du terme) partout où nous le pouvons, pour rouvrir la pensée et continuer à accueillir et panser.
Bénévole en mer comme à terre
A terre, je suis à la fois bénévole de l’antenne 31, auteure des Naufragés de l’enfer – témoignages recueillis à bord de l’Aquarius, Editions DIGOBAR et coordonnatrice du soutien psychologique pour les équipes de SOS MEDITERRANEE.
Auteure et donc témoin directe, je sillonne les festivals, les librairies, les salons du livre pour porter la voix des rescapés, aux côtés des quelque 500 autres bénévoles de l’association.
Pour moi, être bénévole d’une antenne signifie à la fois témoigner, et porter la voix des rescapés par tous les moyens possibles : information citoyenne, recherche de fonds, sensibilisation en milieu scolaire, universités, grandes écoles, entreprises…
Enfin, pour ce qui concerne le soutien psychologique, mes seize collègues (psychologues, psychiatres, psychanalystes, tous bénévoles aussi) et moi tricotons une enveloppe bienveillante autour des marins sauveteurs et l’ensemble des équipes à terre.