Libye
28 juin 2016

Assiz, Moussa, Cyrill, l’un est de Guinée-Bissau, l’autre de Côte d’Ivoire, le troisième de Yaoundé au Cameroun. Migrants naufragés recueillis à bord de l’Aquarius, ils racontent la même histoire. Ils pourraient être cent, mille à témoigner, hommes ou femmes, leur récit serait le même. Ce qu’ils disent tient en un mot : la Libye est un enfer pour les migrants. C’est la première chose qu’ils osent dire en écarquillant les yeux tellement ils ont du mal à croire ce qu’ils ont vécu. Et quand le médecin à bord a demandé à l’un d’eux de quoi il souffrait, l’autre a fini par répondre : « J’ai mal à la Libye ».

Assiz, de Guinée-Bissau, a mis sept ans pour parvenir jusqu’à la plage libyenne de Zuwara. Un périple incroyable à travers l’Afrique, avec ou sans argent, avec ou sans contrôle policier. Mais en Libye, les sbires du régime en place l’ont jeté dans une ferme transformée en « maison de torture ». Il y en aurait plusieurs centaines aujourd’hui en Libye. Les tortionnaires ne disent jamais rien sinon une chose : « Tu paies ou tu meures ». Battu à coups de poings, de pieds, de gourdins, de câbles électriques, il a vu les autres migrants mourir à côté de lui, ceux dont on laissait les cadavres dans leurs cellules pour démontrer aux autres qu’ils avaient intérêt à payer la rançon. Assiz a réussi à s’évader trois mois plus tard, mais il porte encore sur le corps et le visage les cicatrices de la maison de torture.

« En Libye, ils n’aiment pas les noirs », répète Moussa. Couché sur une civière, la jambe fracturée, il sursaute au moindre bruit et a toujours le regard d’un animal traqué. « Là-bas », un noir n’a pas le droit de regarder un arabe libyen dans les yeux. « Là-bas », les milices pourchassent les migrants pour en faire des esclaves dans leurs usines, leurs fermes ou leurs maisons. « Là-bas », quand on reçoit une balle et qu’il faut se rendre à l’hôpital, le médecin qui reçoit un Africain désargenté est suspicieux, hostile, voire dangereux. Moussa a réussi à fuir le pays sur un canot pneumatique. Mais il est parti seul. Ses deux frères ont été abattus sur la plage par les milices libyennes. « En Libye, il n’y a pas de loi » dit Moussa.

Cyrill le Camerounais parle un français châtié. Un cadre qui a fui les raids de Boko Haram dans le nord du pays. Lui aussi raconte les maisons de torture, les vols, les coups, le racisme. Et ces enfants qui s’entrainent à tirer sur les noirs dans la rue, les rackettent en leur mettant une lame sur la gorge ou apprennent à torturer les migrants sous le regard de leurs parents. Ils parlent du viol systématique des femmes sur la route, celles, traumatisées, dont le médecin à bord dit qu’elles restent murées dans leur silence. Ils parlent aussi du viol des hommes. Et de ces passeurs ou geôliers impitoyables qui les battent et leur crachent dessus en leur répétant qu’ils ne valent pas le pain qu’on leur donne. Il peut parler toute la nuit, Cyrill, d’un « pays hors du monde, qui a perdu tout sens moral. Un monde revenu à la condition de la chair animale. »

Assiz, Moussa, Cyrill et des milliers d’autres, tous racontent la même horreur. Tous nous disent que la Libye, pays de l’exode obligé, à réinstauré l’esclavage, la traite négrière.

* Ces témoignages seront diffusés dans le documentaire « Les migrants ne savent pas nager », sur la chaîne Public-Sénat, le 2 juillet, à 22H00.

Par Jean-Paul Mari

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