Cela commence comme un sauvetage « ordinaire ». À 6H52, l’Aquarius, qui patrouille face aux côtes libyennes, reçoit un appel de Rome pour lui demander de faire route vers l’Est. À
8H30, nouvelle alerte pour deux « cibles potentielles », en clair, deux embarcations pneumatiques en détresse. En réalité, il y en a trois. Deux d’entre eux sont à portée de la marine italienne et, à 11H45, l’Aquarius repère un troisième « Zodiac », gris foncé, qui prend l’eau et saute dangereusement sur les grosses vagues. Le sauvetage se fait à temps et sans incident.
L’équipage de SOS MEDITERRANEE recueille 132 migrants, dont 14 femmes, 31 mineurs dont 28 non accompagnés. Le plus jeune a dix ans. Tous sont épuisés, certains en pleurs, d’autres, très faibles, s’effondrent sur le pont de l’Aquarius. La plupart sont d’origine subsaharienne (essentiellement Guinée-Conakry, Côte d’Ivoire, Mali). Ils ont passé entre 3 jours et 2 semaines à attendre dans un hangar sur la côte, nourris à peine une fois par jour avant d’être réveillés en pleine nuit et conduits les yeux bandés vers une plage de Tripoli d’où ils ont embarqué à 2H00 du matin.
Quelques heures plus tard, l’Aquarius reçoit un nouvel appel pour une embarcation difficile à repérer. En réalité, ce jour-là, il y a au moins cinq canots en perdition dans la même zone. La nuit tombe sans signe du « Zodiac » en détresse. Dans l’obscurité, les chances de retrouver un canot en caoutchouc sont pratiquement nulles. À bord, on veille à la jumelle et l’équipage allume des projecteurs pour fouiller la mer noire, aidé par un début de lune. Il est 1H30 du matin, la mer est vide. Tout porte à croire que l’embarcation a disparu.
Soudain, les veilleurs signalent une forme sur l’eau. À la jumelle, le chef des sauveteurs aperçoit un bras tendu et une main qui lui fait signe. Le « Zodiac » est là, entre deux vagues. Il est parti depuis 24H et flotte encore. Le sauvetage commence dans des conditions inédites, dans l’obscurité, sans repères. Qu’un migrant tombe à l’eau et il deviendra aussitôt invisible, donc perdu.
Que la panique gagne l’embarcation et c’est la catastrophe. Les sauveteurs du SAR découvrent des femmes et leurs bébés au milieu du « Zodiac ». Les autres sont inertes, assommés par l’extrême fatigue. Dans ce « bateau N°5 », il y a 126 personnes, sauvées in extremis.
Avant l’aube, vers 4H13, nouvel épisode, la marine italienne commence à transborder vers l’Aquarius les 395 migrants qu’elle a secourus dans deux « Zodiacs ». Malgré la mer forte, l’opération de navette se passe sans incident.
Le pont de l’Aquarius est maintenant chargé au maximum de 653 migrants épuisés, mais sains et saufs. Ils sont pris en charge, déchoqués et soignés par l’équipe médicale de MSF. Et le navire de SOS MEDITERRANEE fait immédiatement cap vers la Sicile et le port de Messine, où les rescapés seront pris en charge par les autorités italiennes.
Un sauvetage en pleine nuit, un transbordement de plusieurs centaines de personnes, un nombre record de migrants à bord, ces 24H marquent la journée la plus forte depuis le début de nos opérations en Méditerranée.
Une journée qui confirme aussi l’afflux grandissant de migrants en mer. Ce jeudi 23 juin, environ 5 000 migrants ont été secourus en Méditerranée au cours d’une quarantaine d’opérations. Et le corps d’une victime a été trouvé sur l’un des canots pneumatiques secourus.
Au total en 4 mois de campagne en mer, 2 895 personnes ont été assistées par les équipes à bord de l’Aquarius, dont 1 769 hommes, femmes et enfants secourus d’une embarcation en détresse et 1126 accueillis à bord après un transbordement.
Rappelons que plus de 10.000 migrants ont perdu la vie en Méditerranée en tentant de rejoindre l’Europe depuis 2014, dont plus de 2.800 depuis le début de l’année 2016.