« Contrairement aux enfants, beaucoup de femmes ne sont jamais sorties de l’abri. »
31 janvier 2023

Lors de sa première mission à bord de l’Ocean Viking, la photographe et vidéaste Camille Martin Juan a documenté les six sauvetages au cours desquels 234 personnes en détresse ont été secourues entre le 22 et le 26 octobre 2022. Elles étaient à bord de six embarcations surchargées et impropres à la navigation. Avec cette image, Camille raconte l’immobilisme qui régnait dans l’abri des femmes durant le plus long blocage de l’histoire de SOS MEDITERRANEE qui s’est achevé à Toulon le 11 novembre.

 Mardi 8 novembre, 13h45, devant l’abri (shelter) pour les femmes. C’est l’endroit où les femmes et les enfants secouru.e.s par l’Ocean Viking dorment, mangent, socialisent et se réfugient en attendant un port sûr où débarquer. Parfois, certaines de ces personnes s’assoient sur le pas de la porte, parlent, se tressent les cheveux et regardent le temps passer. Mais aujourd’hui, comme beaucoup d’autres jours, personne n’est là, et le temps semble se figer. Contrairement aux enfants, beaucoup de femmes ne sont jamais sorties du shelter. Aujourd’hui encore, 18 jours après le premier sauvetage. Leur absence est plus forte que tous les mots, que toutes les images, pour parler de leur état d’esprit et de tout ce qu’elles ont vécu avant leur sauvetage.  

Mais le temps n’est pas immobile, les mouvements du navire et le vent dans la bâche bleue nous rappellent qu’il passe en réalité très lentement. Soudain, un enfant qui surgit nous rappelle que la vie est toujours là, quoi qu’il advienne. Un autre enfant, que l’on aperçoit dans l’abri, nous donne un aperçu de ce qui peut se passer à l’intérieur. Les voix en arrière-plan nous disent que même si nous ne voyons pas les choses, cela ne signifie pas qu’elles ne sont pas là. La bâche bouge encore dans le vent, le temps s’écoule lentement. 

Pour moi, il était évident d’utiliser la vidéographie pour capturer ce moment, d’utiliser l’image animée pour parler de l’immobilité. L’immobilité du cadre, avec un plan fixe, souligne le lent passage du temps. L’immobilité de l’action, du corps des femmes, en utilisant leur absence pour révéler leur présence. 


Crédits : Camille Martin Juan / SOS MEDITERRANEE